L’origine animale des pandémies !

Cet article a également été publié sur le site de Mr Mondialisation ici :  Origine animale des pandémies : il est urgent de changer de modèle

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Une origine qui dérange

L’action au plus fort potentiel réducteur de risque épidémique

L’intérêt général de l’antispécisme

 

Nous espérons sortir de la pandémie que nous subissons. Ce coronavirus émergeant parmi tant d’autres (il en existerait plus de 5000 [1]) est le 3e en moins de 20 ans à provoquer une épidémie grave d’ampleur internationale. SRAS, MERS et COVID-19 sont 3 virus d’origine animale ayant pour origine des vertébrés volants à sang chaud (chauves-souris et oiseaux [2]). Or, les scientifiques du projet Global Virome, qui vise à nous prémunir des risques pandémiques, nous informent que la faune sauvage abrite actuellement 1,7 millions de virus encore inconnus, dont 50% seraient susceptibles d’infecter les humains [3]. Le dernier rapport Échapper à l’ère des pandémies [4] de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) précise que des pandémies plus fréquentes, plus mortelles et plus coûteuses sont à prévoir et que l’impact économique de l’actuelle pandémie est 100 fois supérieur au coût estimé de leur prévention. Dès lors, si nous ne changeons pas notre rapport aux autres animaux, nous n’éviterons pas de futures épidémies [5], avec toutes les conséquences que nous connaissons désormais.

 

Une origine qui dérange 

Bien que l’information que le virus provenait probablement d’un animal ait été relayée dès le début de la pandémie, les leçons concernant la prévention de futures épidémies n’ont pas encore été tirées. Peter Daszak, chercheur en zoologie et coauteur du rapport sus-cité, appelle à un changement radical dans l’approche globale de la lutte contre les maladies infectieuses : il faut laisser une place plus grande à la prévention qu’à la réaction [6].

De son côté, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) nous apprend qu’elle mène depuis de nombreuses années des travaux de recherche sur les mécanismes de transmission inter-espèces des coronavirus [7]. Ces infections sont connues de la médecine vétérinaire car elles sont fréquentes et peuvent avoir un impact économique important, particulièrement dans les élevages de jeunes ruminants, de porcs, de poulets et de dindes. Des opérations de vaccination sont même régulièrement pratiquées dans les élevages de rente soumis au risque infectieux. Les 3 virus émergents dont nous parlions plus haut ont vraisemblablement franchi la barrière inter-espèce par le biais d’un mammifère, et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) [8] nous rappelle que plusieurs coronavirus connus qui n’ont pas encore infecté les humains circulent chez certains animaux.

Toutes les instances font les mêmes constats. Pour lutter contre la propagation de l’épidémie, il faut casser les chaînes de transmission, en évitant la transmission aux populations animales au plus tôt. Pour lutter contre l’apparition de mutations dangereuses, il faut réduire la fréquence des infections (humaines et animales[9]. Les recommandations partagées à l’échelle internationale vont dans le même sens : il faut éviter les contacts étroits entre les individus. Cette nouvelle pratique que nous appelons “distanciation sociale” permet de stopper la propagation du virus et donc la pandémie. Mais, le coût de cette pratique s’avère très élevé. Tant au niveau social et économique qu’au niveau psychologique, l’impact du confinement répété pourrait être le plus gros choc planétaire depuis la Seconde Guerre mondiale.

N’en déplaise aux écologistes représentatifs [10] qui entretiennent un flou artistique [11] et aux écologues spécialistes de la question [12] peu décryptés [13], c’est bien de la relation que les humains entretiennent avec les animaux qu’ils convoitent que proviennent la majorité des pandémies. La déforestation[14], l’urbanisation [15], la métropolisation [16], l’industrialisation [17], l’aviation [18], le dérèglement climatique [19], la pollution de l’air [20], la disparition du monde sauvage [21], la perte de la biodiversité [22], sa dégradation [23], ses bouleversements [24] et sa “maltraitance”[25], la destruction de la nature[26], la modification de l’environnement [27], l’impact écologique [28], sa crise [29] et même son supposé déni [12], sont des facteurs plus ou moins aggravants qui découlent de l’activité humaine, mais qui ne sont pas à l’origine même des épidémies. C’est bien la transmission infectieuse de certains animaux à des humains, une “zoonose”, qui en est la cause. Désigner clairement des facteurs impliqués tout en entretenant un flou quant à la cause manifeste un étrange double standard dans le traitement de l’information, qui nuit indiscutablement à la compréhension de l’émergence des zoonoses. Il est tout à fait sidérant qu’on puisse prétendre tirer des leçons, proposer de grandes théories intriquées tout en appelant à une profonde radicalité, en évitant soigneusement l’origine même de ce qui a provoqué la situation désastreuse que nous vivons.

L’approche non anthropocentrée permet d’inclure les autres animaux dans notre sphère de considération en respectant leurs intérêts et donc leur intégrité physique. Elle nous prémunit contre les pratiques identifiées comme particulièrement à risques que sont la chasse, l’élevage et l’exploitation animale en général. Malheureusement, notre système alimentaire reste basé en grande partie sur l’exploitation animale ; notre culture n’est pas animaliste et des traditions à risques pourtant majoritairement rejetées [30] perdurent.

L’action au plus fort potentiel réducteur de risque épidémique

Toute infection zoonotique passe nécessairement par deux étapes [31] qui sont communes à toute émergence de maladie: le contact humain avec l’agent infectieux et la transmission de celui-ci. Les agents pathogènes zoonotiques représentent la source la plus probable de maladies infectieuses émergentes et réémergentes, si bien qu’une étude [32] révèle que les nouveaux agents pathogènes ont deux fois plus de chance d’être d’origine zoonotique que non zoonotique (58% des agents pathogènes humains le sont). En retour, d’après cette autre étude qui date de 2001 [33], 39% des pathogènes humains ont infecté des animaux domestiques, 44% des animaux sauvages et 26% les trois catégories. Globalement, 60% des maladies infectieuses connues [34] et 75% des maladies infectieuses émergentes [35] sont d’origine animale. Elles affectent 2,5 milliards de malades et tuent 2,7 millions d’humains chaque année. Cette menace sérieuse pour l’humanité en fait un des objets de recherche les plus importants aujourd’hui [36]. Pour s’en rendre compte, la grippe espagnole, d’origine aviaire [37], a à elle seule tué plus d’humains que la tristement plus célèbre première guerre mondiale. Cinq siècles plus tôt, la variole et la grippe (issues des animaux domestiques) avaient décimé une grande partie de la population amérindienne.

 

 

L’exploitation des animaux, quelle qu’elle soit, facilite les contacts étroits entre les animaux sauvages et les humains aux origines mêmes de la majorité des zoonoses [38], si bien que parmi les espèces sauvages menacées, celles dont la population a diminué en raison de l’exploitation et de la perte d’habitat ont partagé plus de virus avec l’homme [39]. Les animalistes analysent les zoonoses pour ce qu’elles sont et non pour ce qu’ils voudraient qu’elles soient. Vu qu’ils ne considèrent plus les animaux comme des ressources, ils n’ont pas de point aveugle sur leur utilisation que les comportements encouragés par notre société perpétuent. En respectant l’intégrité des animaux pour eux-mêmes, on évite la plupart des comportements à risques responsables des contaminations humaines. Or cela tombe bien parce qu’aujourd’hui, il existe un courant de pensée philosophique et moral qui inscrit la considération de l’animal pour lui-même à son fondement : l’antispécisme [40]. En nous apprenant que l’espèce n’est pas un critère pertinent de considération morale en soit, il prône la sortie de toute exploitation animale, quelle qu’elle soit. Alors que l’ensemble des actions à risques zoonotiques reconnues par les scientifiques relèvent exclusivement de comportements spécistes, le remède racinaire se révèle être l’antispécisme.

Une étude parue en août dernier [41] corrobore ces analyses et souligne clairement la production de viande comme première responsable des épidémies, soit directement par un contact accru avec les animaux sauvages et d’élevage, soit indirectement par son impact environnemental (avec comme premier facteur aggravant associé [32], le changement de l’utilisation des terres avec 27% des terres dédiées à l’élevage contre 1% pour l’urbanisation et ses infrastructures [42] par exemple). Ces analyses étayent les travaux de Serge Morand, écologue et directeur de recherche au CNRS, qui montrent que les mammifères domestiqués sont les principaux acteurs du réseau de transmission zoonotique et que plus le temps écoulé depuis la domestication est élevé, plus nous partageons d’agents pathogènes. Ces chercheurs font savoir que limiter le risque épidémique ne pourra pas vraiment se faire par l’amélioration des élevages et que seule une réduction de la consommation de viande permettra de limiter ce risque. Pour ce faire, ils avancent des propositions concrètes telles que notamment la mise en œuvre d’une taxe zoonotique [41] qui pourrait se coupler à une taxe carbone ainsi que la promotion des régimes alimentaires basés sur le végétal à travers les recommandations nutritionnelles officielles par des politiques d’information et de conseil à grande échelle. Dans l’immédiat, des études observationnelles et expérimentales solides [43] montrent que le fait de doubler la proportion de repas végétariens proposés dans des cafétérias augmente les ventes de produits végétariens de 41 % à 79 %.

Au-delà de l’antispécisme, il existe bien évidemment des stratégies de réduction de risque épidémiques. Les vaccins et les médicaments permettent de faire face à la crise. Seulement, ces stratégies sont curatives et présentent des limitations. Le fait que les coronavirus aient des taux de mutation de modérés à élevés [44] implique que les vaccins qui ciblent des antigènes qui ne sont pas conservés par la personne infectée ont peu de chance de conserver leur efficacité dans la durée. Cette étude de 2018 [45] précise que des médicaments à large spectre peuvent présenter l’inconvénient de potentiels effets indésirables.Faire ce que propose l’antispécisme, quant à lui, semble être un bon moyen pour réduire drastiquement le risque de manière préventive.

L’intérêt général de l’antispécisme

Dès lors, l’impact dévastateur de la pandémie de COVID-19 nous enjoint de sortir de notre consommation de produits animaux. Une nouvelle étude [46] établit même l’analogie entre manger de la viande et ne pas se vacciner. En effet, se vacciner et ne pas manger de viande répondrait aux trois mêmes impératifs moraux : prévenir les dommages individuels, éviter la complicité dans les dommages collectifs et faire preuve d’équité. Si nous abandonnons collectivement la consommation de viande alors, au même titre qu’une couverture vaccinale qui offre une immunité collective, nous réduisons ainsi drastiquement le risque de maladies infectieuses dans l’intérêt public. A l’instar de la vaccination, ce devoir est pro tanto, c’est-à-dire qu’il est applicable seulement dans une certaine mesure. Si il n’existe pas d’alternative à la viande et que son refus met la vie humaine en danger alors il ne s’applique plus. Dans ce cas, manger de la viande pour survivre impose un risque nécessaire aux autres. Cependant, ceux qui disposent d’options alimentaires riches et variées comme nous pouvons désormais en profiter en occident, ont clairement intérêt, selon un certain principe de précaution, à collectivement éviter toute viande d’où qu’elle vienne. Bien que les épidémies qui ont infecté l’humain jusqu’à présent n’ont pas anéantie l’humanité, la science a documenté des cas où des maladies provoquent l’extinction d’une espèce entière [47].

Si nous ne voulons pas vivre une nouvelle épidémie qui nous obligerait à une nouvelle distanciation sociale en plus des nombreux désagréments pesants au quotidien, nous devons collectivement éviter les comportements les plus à risque que sont l’élevage et la chasse en particulier, l’exploitation animale en général. Seulement, ces comportements sont ancrés dans nos cultures humaines depuis toujours. C’est donc à une évolution majeure de l’espèce humaine que nous appelons [48]. Bien loin des caricatures projetées sur son projet politique par ses détracteurs, l’antispécisme se révèle bien plus pragmatique qu’il n’y paraît. En minimisant au maximum les risques épidémiques il offre un potentiel préventif transformateur choisi à moindre coût plutôt qu’une gestion de crise subie, dramatique et exorbitante. Au-delà de ces aspects, il s’inscrit dans la parfaite continuité de l’augmentation de notre sphère considération pour l’amélioration des conditions de chacun, et bientôt, y compris les animaux.

[1] Britt Glaunsinger, « Coronaviruses 101: Focus on Molecular Virology », Innovative Genomics Institute – IGI, mars 2020

[2] Woo, P. C. et al. (2012). Discovery of seven novel Mammalian and avian coronaviruses in the genus deltacoronavirus supports bat coronaviruses as the gene source of alphacoronavirus and betacoronavirus and avian coronaviruses as the gene source of gammacoronavirus and deltacoronavirus. Journal of virology (IF2019-4.501), citée 938 fois (DOI: 10.1128/JVI.06540-11)

[3] Carroll, D. et al. (2018). The global virome project. Science (IF2019-41.8045), citée 205 fois (DOI: 10.1126/science.aap7463)

[4] Échapper à l’«ère des pandémies»: Les experts mettent en garde contre de pires crises à venir; Options proposées pour réduire les risques. La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). 2020

[5] Anthony Detrier, « Ce nouveau coronavirus transmis par les porcs aux humains inquiète les chercheurs », Gentside, octobre 2020

[6] Clémentine Thiberge, « Prévenir les pandémies plutôt que les guérir serait cent fois moins coûteux », Le Monde, octobre 2020

[7] Les coronavirus, Carte d’identité et rôle de l’Anses, L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), mars 2020

[8] Coronavirus, Organisation Mondiale de la Santé (OMS)

[9] SARS-CoV-2 Variants, World Health Organization (WHO), décembre 2020

[10] Olivia Gesbert, « Bruno Latour : « Ce virus est là pour nous préparer à l’épreuve suivante, le nouveau régime climatique » », France Culture, janvier 2021

[11] Dimitri de Boissieu, « Coronavirus : le jour où les animaux se révoltèrent contre les humains… », Reporterre, mars 2020

[12] Un collectif d’écologues, « La prochaine pandémie est prévisible, rompons avec le déni de la crise écologique », Libération, avril 2020

[13] Christian Leveque, « La destruction de la biodiversité a-t-elle engendré le Coronavirus ? », European Scientist, avril 2020

[14] « Les recherches sur les liens entre déforestation et épidémies sont insuffisantes, alertent des scientifiques », Reporterre, mai 2020

[15] Guillaume Faburel, « Pandémie : « L’urbanisation et la métropolisation généralisées sont le creuset de la crise sanitaire » », Marianne, avril 2020

[16] Marie Astier pour un entretien avec Guillaume Faburel, « La métropolisation du monde est une cause de la pandémie », Reporterre, mars 2020

[17] Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie », Le Monde diplomatique, mars 2020

[18] « L’aviation a joué un rôle central dans la propagation du coronavirus », Reporterre, mars 2020

[19] Justine Guitton-Boussion, « Le coronavirus, une épidémie favorisée par l’avion et le dérèglement climatique », Reporterre, janvier 2020

[20] Gérald Roux, « Le rôle de la déforestation et de la pollution dans l’épidémie de Covid-19 », franceinfo, mars 2020

[21] Juliette Duquesne pour un entretien avec Serge Morand, « Coronavirus : « La disparition du monde sauvage facilite les épidémies » », Marianne, mars 2020

[22] Laurent Radisson, « Érosion de la biodiversité et pandémies : le pire est à venir », Actu-Environnement, octobre 2020

[23] Perrine Mouterde, « Coronavirus : la dégradation de la biodiversité en question », Le Monde, avril 2020

[24] Martine Valo pour un entretien avec Philippe Grandcolas, « Coronavirus : « L’origine de l’épidémie de Covid-19 est liée aux bouleversements que nous imposons à la biodiversité » », Le Monde, avril 2020

[25] Fabrice Pouliquen pour un entretien avec Philippe Grandcolas, « Coronavirus : « Cette épidémie est la conséquence d’une biodiversité que l’on maltraite », selon Philippe Grandcolas », 20 minutes, avril 2020

[26] John Vidal, « ‘Tip of the iceberg’: is our destruction of nature responsible for Covid-19? », The Guardian, mars 2020

[27] Mathieu Vidard pour un entretien avec Jean-François Guégan, « Coronavirus : En quoi la pandémie actuelle est-elle liée à l’environnement ? », France Inter, mars 2020

[28] Sébastien Billard pour un entretien avec Rodolphe Gozlan, « »Le Covid-19 était inévitable, et même prévisible  » du fait de notre impact écologique », L’Obs, mars 2020

[29] Christelle Guibert pour un entretien avec Laurence Tubiana, « Le coronavirus est lié à la crise écologique, à nos modes de vie », Ouest France, mars 2020

[30] Ifop pour Caniprof, « Référendum sur la protection animale : Les Français soutiennent les animaux », Ifop, juillet 2020

[31] Childs, J. E. et al. (2007). Introduction: conceptualizing and partitioning the emergence process of zoonotic viruses from wildlife to humans. Wildlife and emerging zoonotic diseases: The biology, circumstances and consequences of cross-species transmission ; Citée 54 fois (DOI : 10.1007/978-3-540-70962-6_1)

[32] Woolhouse, M. E., & Gowtage-Sequeria, S. (2005). Host range and emerging and reemerging pathogens. Emerging infectious diseases (IF2019-6.259), citée 1282 fois (DOI: 10.3201/eid1112.050997)

[33] Cleaveland, S., Laurenson, M. K., & Taylor, L. H. (2001). Diseases of humans and their domestic mammals: pathogen characteristics, host range and the risk of emergence. Philosophical Transactions of the Royal Society of London. Series B: Biological Sciences (SJR2019-3.051), citée 1067 fois (DOI : 10.1098/rstb.2001.0889)

[34] Salyer, S. J. et al. (2017). Prioritizing zoonoses for global health capacity building—themes from One Health zoonotic disease workshops in 7 countries, 2014–2016. Emerging infectious diseases (IF2019-6.259), citée 54 fois (DOI: 10.3201/eid2313.170418)

[35] Kurpiers, L. A. et al. (2016). Bushmeat and emerging infectious diseases: lessons from Africa. In Problematic wildlife (pp. 507-551). Springer, citée 32 fois (DOI : 10.1007/978-3-319-22246-2_24)

[36] World Health Organization, Pandemic Influenza Preparedness and Response, A WHO guidance document, 2009

[37] Hoag, H. Study revives bird origin for 1918 flu pandemic. Nature News. (DOI : 10.1038/nature.2014.14723)

[38] Jones, B. A. et al. (2013). Zoonosis emergence linked to agricultural intensification and environmental change. Proceedings of the National Academy of Sciences (IF2019-9.412), citée 487 fois (DOI : 10.1073/pnas.1208059110)

[39] Johnson, C. K. et al. (2020). Global shifts in mammalian population trends reveal key predictors of virus spillover risk. Proceedings of the Royal Society B (IF2020-4.304), citée 150 fois (DOI : 10.1098/rspb.2019.2736)

[40] Thomas Lepeltier, Yves Bonnardel et Pierre Sigler, « L’antispécisme est un projet politique réaliste », L’Amorce, 2018

[41] Espinosa, R., Tago, D., & Treich, N. (2020). Infectious diseases and meat production. Environmental and Resource Economics (IF2019-5.167), citée 8 fois (DOI : 10.1007/s10640-020-00484-3)

[42] Ritchie, H., & Roser, M. (2013). Land use. Our World in Data. Citée 21 fois

[43] Garnett, E. E. et al. (2019). Impact of increasing vegetarian availability on meal selection and sales in cafeterias. Proceedings of the National Academy of Sciences (IF2019-9.412), citée 40 fois (DOI : 10.1073/pnas.1907207116)

[44] van Dorp, L. et al. (2020). Emergence of genomic diversity and recurrent mutations in SARS-CoV-2. Infection, Genetics and Evolution (IF2018-2.611), citée 303 fois (DOI : 10.1016/j.meegid.2020.104351)

[45] Totura, A. L., & Bavari, S. (2019). Broad-spectrum coronavirus antiviral drug discovery. Expert opinion on drug discovery (IF2016-3.846) citée 104 fois (DOI : 10.1080/17460441.2019.1581171)

[46] Jones, B. (2020). Eating meat and not vaccinating: In defense of the analogy. Bioethics (IF2018-1.66) (DOI : 10.1111/bioe.12834)

[47] Dodds, W. (2019). Disease now and potential future pandemics. In The World’s Worst Problems (pp. 31-44). Springer, Cham, citée 8 fois (DOI : 10.1007/978-3-030-30410-2_4)

[48] David Olivier : « L’animalisme nous mène à un progrès civilisationnel majeur », Le Monde, 2019

Vite, la nouvelle transition alimentaire !

Les produits transformés végétaux au secours de nos carences alimentaires, environnementales et éthiques.

Temps de lecture estimé : 40 min

Message

Points clefs

Résumé

Des a priori pernicieux entretenus

Les produits transformés sont notre pain quotidien

Les produits ultra-transformés sont d’abord d’origine animale

Les produits transformés végétaux contre le changement climatique

Nous avons déjà connu une transition alimentaire !

La sortie de secours des éleveurs

Au-delà des postures et contre le statuquo

Message

          Au-delà des préjugés sur les aliments transformés, nous proposons de prioriser les produits végétaux qui, s’ils sont transformés, représentent notre meilleur espoir pour la nécessaire nouvelle transition alimentaire.

Points clefs

  1. Depuis le XX siècle, les pays industrialisés connaissent une transition alimentaire vers une diète riche en sucre, en gras et en produits animaux, au détriment des féculents. Dense énergétiquement, elle est toutefois source de maladies dites de “civilisation” (obésité, diabète, cancer, maladies cardio-vasculaires).
  1. La consommation excessive de produits ultra-transformés est liée à des risques de mortalité accrus. Malheureusement, les consommateurs n’ont pas une vision claire des classifications alimentaires, notamment sur la distinction entre produits transformés et ultra-transformés, car elle est complexe et la communication médiatique confuse.
  1. L’additif à risque le plus présent dans les produits ultra-transformés est le nitrite de sodium, un conservateur très utilisé dans les viandes transformées, diverses charcuteries locales et traditionnelles.
  1. Les produits végétariens ou véganes sont moins ultra-transformés que les produits animaux, et présentent donc un moindre risque pour la santé.
  1. Une transition alimentaire vers plus de végétaux réduirait massivement les populations d’animaux domestiques, sources des zoonoses et de pandémies comme le coronavirus.
  1. Par rapport aux produits végétaux, les productions animales sont inefficaces, en particulier au niveau de leur empreinte carbone, de la pollution en azote (par ex. algues vertes) et en quantité de terres agricoles occupées. La réduction drastique de leur consommation est une opportunité majeure par rapport aux accords de Paris sur le climat.

Résumé

          Notre évolution nous a profondément ancrée dans une logique transformative de nos aliments et ce, au moins depuis leur cuisson. Les aliments transformés assurent une diversification alimentaire bénéfique en rendant comestible des produits autrement impropres à la consommation, ou en rendant accessible des aliments denses et généralement riches en macronutriments et en énergie. De manière hypocrite, un discours contre les produits transformés se développe malgré la banalisation de leur usage. Ce rapport, en s’appuyant sur des sources scientifiques récentes, tente de dissiper les malentendus autour des produits transformés en général. En premier lieu, nous montrons qu’il existe une confusion dommageable entre produits transformés et ultra-transformés, ainsi qu’un manque de discernement sur la qualité nutritionnelle des aliments. En second lieu, nous défendons les produits végétaux transformés qui constituent un levier majeur pour favoriser la prochaine transition alimentaire vers le végétal. Nous montrons en particulier qu’ils peuvent nourrir intelligemment, prévenir la carence en fibre dont nous souffrons, réduire drastiquement l’impact environnemental de notre alimentation et sortir les éleveurs de l’endettement à travers des plans de reconversion prometteurs. Bien qu’une certaine précaution envers de nouveaux produits soit compréhensible, le flou irrationnel entretenu autour des produits transformés est un frein à l’émergence de la nécessaire nouvelle transition alimentaire. Gageons que ce rapport participera à le lever.

Des a priori pernicieux entretenus

          Les produits transformés sont décriés. Ils sont pointés du doigt car ils seraient trop dangereux pour la santé du fait de leur nombreux défauts : de mauvaise qualité, ils comporteraient trop d’éléments chimiques et seraient nutritionnellement déséquilibrés.

Mais que sont des produits transformés ? Une transformation consiste d’abord à modifier la forme d’un produit à visée alimentaire. De base, soit le produit est d’origine animale, soit d’origine végétale. Artisanalement ou industriellement, la méthode diffère suivant l’échelle de production. La transformation de ce produit le fera devenir un aliment préparé pour le rendre comestible ou plus recherché par le consommateur. Le but étant de fabriquer des produits durables pouvant être utilisés pour préparer des plats, des repas variés et agréables, de modifier ou d’améliorer les qualités sensorielles et nutritionnelles des aliments[1].

Des classifications de produits existent afin de répartir les aliments en plusieurs groupes suivant un certain degré de transformation d’une part et selon leurs qualités nutritionnelles d’autre part. Les principales sont Nova, Siga et le Nutri-score. Nova propose 4 groupes d’aliments : le groupe 1 qui sont les aliments non transformés ou transformés minimalement, le 2 pour les ingrédients culinaires transformés, le 3 pour les aliments transformés et le 4 pour les produits alimentaires et boissons ultra-transformés. Siga détaille le degré de transformation de Nova. Elle évalue les risques des ingrédients et des additifs sur la base d’avis émis par les instance reconnues (OMS, EFSA, ANSES) tout en y ajoutant des seuils nutritionnels fixés par la FSA (Food Standard Agency, UK) en cas d’ajout de gras, sucres ou sel dans l’aliment.  Enfin, le Nutri-score lui, prend en compte, pour 100g de produit, la teneur en nutriments et aliments à favoriser (fibres, protéines, fruits et légumes) ainsi qu’en nutriments à limiter (énergie, acides gras saturés, sucres et sel).

Malheureusement, le consommateur lambda n’a pas une vision claire de l’appartenance des produits alimentaires aux différentes classifications qui sont pourtant établies pour le renseigner. On ne saurait lui en vouloir au vu du traitement de l’information bien trop confus qui en est fait.

Face à ce manque d’information, la classification des aliments sur une échelle de “naturalité” prend souvent le pas. L’idée selon laquelle ce qui est “plus naturel” est forcément meilleur (majoritaire chez les consommateurs  écologistes) est fausse. De fait, une alimentation perçue comme naturelle n’est pas forcément meilleure pour la santé ni pour l’environnement qu’une alimentation à base de produits transformés végétaux, qui peut être perçue comme industrielle et donc artificielle.

Les produits transformés sont notre pain quotidien

          Tout d’abord, il convient de dire que quasiment la totalité des aliments que nous consommons est transformée d’une manière ou d’une autre. Par exemple, l’huile, le beurre, le fromage, la soupe, les bouillons, les salades, le pain, les conserves, les boissons et les desserts sont des aliments obtenus par des procédés qui comprennent le pressage, le raffinage, le broyage, la meunerie, le séchage, diverses méthodes de conservation, de cuisson et de fermentation non alcoolique.

          Par ailleurs, nous transformons nous-même nos aliments à travers des préparations culinaires qu’on élabore régulièrement à partir d’ingrédients et d’aliments bien souvent eux-mêmes transformés. Pour autant, cette condition, n’en justifie a priori pas notre méfiance, au contraire même, bien souvent, plus il y a d’ingrédients, plus c’est appétissant ! Tout dépend des produits utilisés, s’ils sont très gras, sucrés ou salés. Évidemment si ces aliments ne sont pas préparés à partir de produits bruts il faut s’assurer de la non-nocivité chronique des ingrédients modifiées ou non, qu’ils peuvent éventuellement contenir. S’ils sont pauvres en fibres, riches en calories, en graisses saturées et en glucides raffinés, alors, il est avéré que pour une alimentation saine, il faut en limiter leur consommation.

          La cuisson par exemple, est un moyen de transformation des aliments qui a eu pour effet d’augmenter très fortement la qualité nutritionnelle des aliments puisque la quantité d’énergie absorbée pour un même volume de nourriture est plus grande. Cette amélioration nous a permis de réduire l’énergie allouée à notre système digestif à la faveur du développement de notre cerveau[2]. En jouant un rôle de prédigestion, le feu nous a permis de manger plus de viande en en facilitant sa digestion, et de diversifier notre alimentation, en rendant comestible certains tubercules par exemple. Elle a également complexifié notre nourriture en faisant émerger le concept même de cuisine[3].

          De manière générale, les régimes restreints aux aliments non-transformés sont moins diversifiés et moins sûrs. Se passant de diverses méthodes de conservation inoffensives et de procédés capables d’améliorer la qualité nutritionnelle (la fermentation non alcoolisée par exemple), ils comportent moins d’aliments disponibles qui sont également moins biodisponibles. Plus pauvres, les régimes moins-transformés sont donc moins diversifiés et moins sûrs. Les cuisines traditionnelles et établies partout dans le monde sont basées sur des plats et des repas préparés à partir d’ingrédients non transformés et peu transformés mais aussi d’aliments transformés[4].

          Régulièrement, des expériences illustrent très bien ces informations. Par la volonté de réduire leur consommation de produits animaux (le plus souvent la viande), certaines personnes en viennent à ressentir un manque d’énergie et le besoin d’augmenter leur rations par repas pouvant aller jusqu’à littéralement avoir l’impression de se gaver. En réalité, c’est attendu ! Le fait de remplacer des aliments riches et denses uniquement par des aliments bruts, donc nécessairement moins denses et plus pauvres en protéines notamment, à toutes les chances de ne pas satisfaire. Bien souvent, dans le milieu écologiste, un raisonnement bien intentionné mais fallacieux, connu sous le nom d’appel à la nature est à l’origine d’un a priori empêchant concrètement le remplacement des produits transformés animaux par des produits transformés végétaux (le critère de naturalité n’étant pas pertinent en soi, une alimentation perçue comme non naturelle peut s’avérer meilleure pour la santé et l’environnement[5]). Les premiers bénéficient d’un a priori accoutumé alors que les seconds souffrent d’une défiance conventionnelle. A l’image d’une émission du service public qui prétend informer de la qualité nutritionnelle de ces derniers, alors même que les produits présentés à un nutritionniste sont classés A au Nutri-score, apparemment, ils ne mériteraient pas leur place dans notre alimentation quotidienne[6]. Dommage, parce que leur niveau en fibre par exemple en font des alliés précieux, et aujourd’hui, il existe une offre de produits végétaux transformés déjà complète mieux notée et donc nutritionnellement plus équilibrée que leur homologues animaux.

Leurs formes ne sont pas d’origines !

          Si des produits animaux se vendent sous certaines formes, comme le jambon par exemple, c’est bien pour un aspect pratique, il ne pousse pas à l’état sauvage en tranches ! De l’aspirine au réfrigérateur en passant par les lunettes de vue, reconnaissons qu’une bonne partie de notre vie est la preuve même que les processus naturels fonctionnent souvent à notre détriment. Alors, pourquoi devrions-nous croire qu’une forme naturelle ou de base serait nécessairement meilleure ? Nous observons quotidiennement l’inverse et l’alimentation n’y déroge pas. Notre vie dépend en fait de notre capacité à défier ces processus naturels qui pourtant, bénéficient constamment de notre confiance. Une position plus rationnelle serait plutôt de les tenir à distance[7].

Produits transformés végétaux

Les processus de transformation complexifient la chaine d’approvisionnement !

          Si la longueur de la chaîne de transformation est un critère retenu pour privilégier certains produits à d’autres, alors, les produits végétaux l’emportent sur leurs homologues animaux car ces derniers dépendent des premiers et non réciproquement. Rappelons ici que le niveau trophique de base est celui des autotrophes (les végétaux), capables de produire de la matière organique à partir de l’énergie solaire, l’eau et les minéraux. Les hétérotrophes (les animaux) tirent leur énergie à partir de la matière organique. Et oui, avant d’être transformé en aliment, un animal est sélectionné, reproduit, élevé, nourri par des végétaux qui ont poussés, soigné, transporté, tué, dépecé, préparé, conditionné, emballé et livré. De plus, les restrictions sanitaires sont plus strictes, la chaîne du froid est incontournable, les dates de péremptions majoritairement plus courtes, etc. Bref, mêmes transformés, la simplicité est plus du côté des produits végétaux.

La manipulation génétique végétale pose question !

          Rapidement, si la sélection génétique est un critère important pour le choix de son alimentation, les produits animaux se révèlent particulièrement à la pointe du sujet. Le poulet « bien de chez nous » mangé par la plupart, sans l’a priori réservé aux produits véganes (l’habituelle moue si dédaignante), est pourtant présenté dans cet article de Science et avenir par exemple[8], tout simplement comme un mutant à votre table. Par ailleurs, rappelons que la sélection génétique, empirique puis scientifique, a tout simplement permis d’obtenir les aliments que nous connaissons aujourd’hui et d’améliorer considérablement les rendements. Nous avons ardemment pratiqué la sélection artificielle, et ce, depuis les débuts de l’agriculture et l’élevage, il y a 10 000 ans.

De manière générale, imaginons un instant notre alimentation sans les produits transformés. Le pain, la confiture, le lait végétal, le tofu, le seitan, et tous ces aliments riches et travaillés pour être rendus comestibles en sont les premiers d’une longue série qui nous permettent de nous nourrir au quotidien. Moins viables, les régimes alimentaires exclusivement basés sur des produits non-transformés ou brut,  ne sont pas souhaitables, indépendamment de la réactance (parfois légitime) apparue, face à l’opacité de certaines filières industrielles si décriées dans les réseaux écologistes. La critique des aliments transformés est contre-productive car elle ne les considère pas pour ce qu’ils sont, des produits transformés, mais pour ce qu’ils ne sont pas, des produits ultra-transformés.

Les produits ultra-transformés sont d’abord d’origine animale

          Dans une étude de cohorte portant sur 44551 adultes français de 45 ans et plus, une augmentation de 10% de la proportion de consommation d’aliments ultra-transformés était statistiquement significativement associée à un risque de 14% plus élevé de mortalité toutes causes confondues[9]. Bien que d’autres recherches prospectives soient nécessaires pour confirmer ces résultats, l’augmentation de la consommation d’aliments ultra transformés semble être associée à un risque de mortalité global plus élevé. Mais qu’est-ce que l’ultra transformation ?

     Voici quelques processus de fabrication d’aliments ultra-transformés : le fractionnement des aliments entiers en substances, les modifications chimiques de ces dernières, leur assemblage non modifiées et modifiées, l’utilisation fréquente d’additifs et d’emballages sophistiqués. Ils permettent de créer des produits hautement rentables (faible coût des ingrédients, longue durée de conservation), pratiques (prêts à consommer) et hyper-appétissants.

Un moyen pratique d’identifier un produit ultra-transformé consiste à vérifier si sa liste d’ingrédients contient des substances alimentaires jamais ou rarement utilisées dans les cuisines (sirop de maïs à haute teneur en fructose, huiles hydrogénées, protéines hydrolysées), ou des classes d’additifs conçus pour rendre le produit final agréable au goût ou plus attrayant (comme les arômes, les exhausteurs de goût, les colorants, les émulsifiants, les sels émulsifiants, les édulcorants, les épaississants et agents antimoussants, gonflants, carbonatants, moussants, gélifiants et glacis)4.

          Une étude a montré que la majorité des consommateurs sait reconnaître les aliments ultra-transformés qui correspondent à ceux de la classification Nova. En les décrivant comme des produits hautement transformés à faible qualité nutritionnelle, contenant généralement des additifs et autres ingrédients artificiels ils les considèrent malsains, majoritairement à juste titre. Cependant, bien qu’ils classent les viandes transformées, boissons gazeuses, collations, hamburgers, soupes et nouilles en poudre et emballées en accord avec le système de classification, certains participants perçoivent des aliments transformés, des ingrédients culinaires et même certains aliments peu transformés comme étant ultra-transformés. Les chercheurs préconisent donc une définition claire des aliments ultra transformés dans les campagnes éducatives visant à modifier les habitudes alimentaires des consommateurs, en réduisant la substitution des repas à base d’aliments transformés ou non par les aliments ultra transformés[10].

          Dans une nouvelle étude[11] de janvier 2020, la classification Siga a été utilisée pour caractériser 24 932 aliments emballés dans les supermarchés français (aliments pour bébés et alcool exclus), qui étaient représentatifs des assortiments d’aliments emballés. Les deux tiers étaient ultra-transformés. Les produits avec plus d’un marqueur d’ultra transformation correspondaient à la catégorie la plus représentée, 54% des produits. Parmi les aliments contenant plus de cinq ingrédients, 75% étaient des produits ultra-transformés.

Parmi les catégories d’aliments qui contiennent un pourcentage élevé de produits ultra-transformés (cf. graphe C0.1+C0.2+C1): les viandes salées à 94%, les plats cuisinés à 95%, les plats et les yaourts aromatisés et fromages blancs à 95%, les barres énergétiques et gastronomiques à 81%, les céréales pour le petit-déjeuner à 80% et les plats végétariens à 87%. Voici le détail sous forme de graphique :

La classification holistico-réductionniste Siga selon le degré de transformation des aliments : une évaluation des aliments ultra-traités dans les supermarchés français

Pourcentage de denrées alimentaires en fonction du degré de transformation selon la classification Siga pour six catégories. A0: non transformés, A1: peu transformés, A2: ingrédients culinaires peu transformés, B1: transformés équilibrés nutritionnellement, B2: transformés à teneur élevée en sel, sucre et / ou matières grasses, C0.1: ultra-transformés équilibrés nutritionnellement C0.2: ultra-transformés à teneur élevé en sel, sucre et / ou matières grasses, C1: ultra-transformés à plusieurs marqueurs d’ultra-transformation et/ou d’un additif à risque.

Déjà, nous pouvons constater que dans ces catégories d’aliments, les plats végétariens sont ceux qui obtiennent le pourcentage le plus faible en C1, catégorie pour laquelle, la présence de plusieurs marqueurs d’ultra transformation et/ou d’un additif présentant un problème de sécurité est relevée. Par ailleurs, les sous-catégories C0.1 et C0.2 ne contiennent qu’un seul marqueur d’ultra-transformation (non évalué comme étant à risque), la différence étant que la première est équilibrée nutritionnellement alors que la deuxième contient un niveau de sel, de sucre, et/ou de graisse trop élevée. Remarquons que près d’un quart (25%) des plats végétariens ultra-transformés sont classés dans la catégorie nutritionnellement équilibrée largement au-dessus des autres catégories d’aliments. Dans la catégorie des produits transformés équilibrés nutritionnellement, c’est près de 12% des plats végétariens qui y sont classés. Tout se passe comme si, plus il y a de produits animaux dans les produits ultra-transformés, plus le pourcentage dans la catégorie à risque est élevé. Et oui, bien que les yaourts aromatisés et fromages blancs ne semblent a priori pas décriés par les consommateurs, ce sont des produits animaux ultra-transformés qui sont classés à 78% dans la catégorie à risque C1 contre 59% pour les plats végétariens. Les plats cuisinés sont des produits ultra-transformés d’origine animale, classés à 88% dans cette catégorie.

          L’additif à risque le plus représenté est le nitrite de sodium (E250, ≈5%). Or, c’est un conservateur très employé dans les viandes transformées non traitées et traitées thermiquement, diverses charcuteries locales et traditionnelles. Classé comme cancérogène probable, d’après l’Institut National du Cancer, il augmenterait le risque de cancer colorectal de 18% en moyenne par portion de 50g de charcuterie supplémentaire par jour[12] dont il faudrait limiter la consommation à 25g par jour d’après l’ANSES. Ça équivaudrait à une grosse tranche de jambon blanc par jour au-delà de laquelle l’augmentation du risque est statistiquement significative[13]. D’après l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA), bien que les niveaux d’utilisation autorisés soient censés être suffisamment protecteurs, si toutes les sources alimentaires de nitrites sont considérées, la dose journalière admissible peut être dépassée pour toutes les catégories de population en suivant une alimentation conventionnelle. Rappelons tout de même que le cancer colorectal, dont on connaît le risque accru par l’excès de nitrites, est la deuxième cause de décès par cancer en France[14].

          Cependant, n’oublions pas que la transformation est souhaitable ! Elle permet de produire des aliments comestibles, savoureux et sains. C’est l’ultra-transformation qui ne l’est pas forcément. Elle produit globalement des aliments malsains, sauf à des fins nutritionnelles spéciales, conçu pour les sportifs, les personnes malades, certaines personnes âgées ou tout simplement pour certaines occasions avec des aliments pratiques par manque de temps ou pour des évènements conviviaux par gourmandise. Nous devrions sans doute garder à l’esprit que c’est la dose qui fait le poison. Cette catégorie d’aliment peut tout à fait répondre à des attentes légitimes mais elle ne doit pas constituer le socle de l’alimentation quotidienne.

      Le fractionnement aussi appelé craquage des aliments complexes, puis le réassemblage des nutriments et des ingrédients relève d’une approche réductionniste qui semble avoir montré ses limites. Les études scientifiques semblent majoritairement soutenir une approche holistique intégrant la règle des 3V (Végétal, Vrai, Varié)[15]. En premier lieu, elles préconisent de penser de l’holisme au réductionnisme (du global au local ou des macronutriments aux micronutriments par exemple). Inclure les caractéristiques de la structure physique de la matrice de l’aliment permet de lutter efficacement contre le développement croissant des maladies chroniques. Il y a la nécessité d’une nutrition préventive primaire plus ciblée, par opposition à la nutrition curative très répandue qui découle de régimes alimentaires malsains. Par ailleurs, les fibres, vitamines, minéraux, oligo-éléments et antioxydants sont les éléments nutritionnels bioactifs qui constituent la première ligne de prévention contre le développement de maladies chroniques multifactorielles11. Aussi, nous avons vu que le réductionnisme n’était pas inutile. Cependant, il doit s’inscrire dans le cadre de questions scientifiques holistiques. L’avenir des recherches sur la transformation et la nutrition devraient être portée sur l’effet de la transformation minimale et les aliments d’origine végétale sur la santé des personnes en condition réelle[16].

          Suite à la précédente transition alimentaire, l’augmentation constante de la part des produits animaux dans nos rations a favorisé de manière spectaculaire les épidémies d’obésité, de diabète de type 2 et de maladies cardiovasculaires au point que ces maladies chroniques sont aujourd’hui plus importantes dans certains pays en développement que les maladies infectieuses[17] à 60% d’origine animale, responsables déjà de 2,5 milliards de malades dans le monde et 43,7% des décès dans ces mêmes pays[18] ! A contrario, tous les régimes basés sur des calories d’origine végétale minimalement transformées sont sains et protecteurs.

          Revendiquons des moyens techniques de transformation (par exemple low-tech !) perfectionnés pour favoriser la qualité nutritionnelle grâce à la préfermentation, le trempage, la germination, mais également l’utilisation des ultraviolets-C[19], d’atmosphères modifiées[20], de chocs thermiques et de traitements à l’ozone. Bien que certains processus traditionnels de traitement constituent de réelles solutions d’avenir, aucun retour en arrière ne sera à même de répondre aux exigences sanitaires de notre temps.

          Pour résumer, la nouvelle transition alimentaire doit nous orienter vers les produits végétaux transformés plutôt que vers les produits animaux ultra-transformés. Ça tombe bien, il est désormais possible d’avoir accès à une gamme croissante de produits végétaux variés dans les supermarchés du monde entier. En pointant délibérément du doigt les produits transformés végétaux, les « écologistes traditionnalistes » s’opposent activement à cette nouvelle transition alimentaire dont on connait de plus en plus l’impérieuse nécessité, tant du point de vue sanitaire qu’environnemental et éthique.

Les produits transformés végétaux contre le changement climatique

       Un article scientifique titré « Ruminants, changement climatique et politique climatique »[21] a été publié en 2014 dans la prestigieuse revue Nature Climate Change. Il analyse les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre des aliments riches en protéines à partir d’analyses de cycle de vie complètes qui comprennent les effets environnementaux directs et indirects de la ferme à la fourchette (fermentation entérique, fumier, aliments pour animaux, engrais, transformation, transport et changement d’affectation des terres). L’empreinte équivalent carbone due à la consommation de viande de ruminants est en moyenne de 19 à 48 fois supérieure à celle des aliments riches en protéines obtenues à partir des végétaux. Pour ce qui est des viandes qui ne proviennent pas de ruminants (porc, volaille, pêcheries), l’empreinte équivalent carbone reste en moyenne de 3 à 10 fois plus élevée que les aliments végétaux riches en protéines (simili-carnés et légumineuses). Pour cette catégorie, les auteurs précisent qu’elle mobilise des aliments qu’on pourrait consommer plus efficacement directement. De la ferme à l’assiette, la phase d’exploitation est la plus importante du cycle de vie avec la production d’aliments pour les animaux et l’élevage qui sont de loin les principaux contributeurs aux impacts environnementaux.

Empreinte carbone équivalente moyenne des aliments solides riches en protéines par kg de produit à partir d'une méta-analyse mondiale d’études de cycle de vie.

Ces chiffres peuvent être revus à la baisse étant donné la moins bonne digestibilité des protéines végétales comparées aux protéines animales[22]. De ce fait, les auteurs qui se basent sur une méta-analyse d’ampleur[23] précisent qu’un régime végétarien nécessite un apport en protéines de 20% supérieur et de 30% pour un végétalien suivant le Conseil de la santé des Pays-Bas (2001). Or, le régime occidental moderne contient beaucoup plus de protéines que nécessaire[24] et en France, à 0,8g de protéine par kilogramme, en moyenne, nous en consommons 2 fois trop pour un homme de 70kg et 2,5 fois trop pour une femme de 55kg[25]. Malgré cette correction, les ordres de grandeurs restent les mêmes.

          De plus, en considérant cette digestibilité, la plus grande différence observée  réside dans le passage de la masse de produit comme unité fonctionnelle (ici utilisée sur l’infographie) à la masse de protéine[26]. Si bien que Joseph Poore et Thomas Nemecek confirment ces rapports[27], par la plus grande méta-analyse réalisée sur le sujet qui regroupe 1530 études couvrant ainsi 38 700 exploitations dans 119 pays et 40 produits qui représentent 90% de la consommation mondiale de protéines et de calories.

          Remarquons également que nous ne consommons pas des protéines directement mais bien l’aliment qui en contient, ceci servant uniquement de référentiel. En comparaison au tofu qui a le plus haut taux d’émissions des produits végétaux ici considérés, les rapports sont :

  • 2,1 pour les œufs
  • 85 pour le poulet
  • 3 pour le poisson
  • 8 pour le porc
  • 5 pour le fromage
  • 10 pour le mouton
  • et 25 pour le bœuf

        L’action au potentiel réducteur la plus importante est toujours le remplacement des produits animaux par les produits végétaux, indépendamment des systèmes agricoles et des méthodes spécifiques, du transport ou encore des emballages. Le constat est sans appel : les émissions de la plupart des produits végétaux est de 10 à 50 fois plus faible que la plupart des produits animaux[28].

        De manière générale, la production de 1 kg de viande désossée nécessite en moyenne 2,8 kg d’aliments comestibles par l’homme dans les systèmes de ruminants et 3,2 kg dans les systèmes monogastriques[29]. Tant d’un point de vu énergétique que protéinique (favorable à l’élevage), l’exploitation animale est largement déperditive et consommatrice nette de ressources. Bien qu’elle est contributive nette en protéines dans 18,67% des cas et que donc on peut dire qu’elle participe à la sécurité alimentaire seulement à cette hauteur, elle est consommatrice nette de protéines à hauteur de 81,33% : 

L'élevage est consommateur net de protéines

          L’élevage est donc d’abord une fuite de ressources, même dans le cas des protéines qui lui est plus favorable. Pour rappel, les êtres vivants sont des systèmes dissipatifs ouverts qui perdent leur énergie principalement par la chaleur qu’ils émettent constamment. Alors même que l’étude souligne le fait que la majorité de l’alimentation animale n’est pas consommable par l’humain, l’efficience nette de conversion[30], le ratio des sortants sur les intrants qui ne considère que la partie consommable, nous apprend que l’élevage est consommateur net avec 62% de pertes. Remarquons que plus de 99% des contributeurs nets identifiés sont en fait les ruminants responsables de la majorité des émissions de gaz à effet de serre (65% d’après l’institut de l’élevage mais 80% d’après cette étude scientifique de référence[31]). Bien que l’élevage soit capable de valoriser des ressources impropres à la consommation humaine, il ne participe que marginalement à la sécurité alimentaire (pâturage en zone non arable par exemple). Si d’un point de vue énergétique l’élevage est clairement inefficient en contribuant uniquement à 18% des calories à l’échelle mondiale, il l’est moins d’un point de vue des apports en protéines car il y couvrirait 37% des protéines mondiales[32].

          Éthiquement, pour tuer moins d’individus, il est préférable de manger des bovins plutôt que des poules ou des poissons, alors que d’un point de vue environnemental ce serait l’inverse. Cela-dit, pour la sécurité sanitaire générale, la crise du coronavirus provoquée par une nouvelle zoonose, nous incite au maximum à réduire les populations d’animaux domestiques en cessant leur reproduction et en reconsidérant nos interactions avec ceux qu’il faut bien désormais appeler nos cohabitants.

          Précisons que dans l’écrasante majorité des études scientifiques, il est toujours question d’optimisation de l’élevage, de sa réduction et l’amélioration de sa gestion. Malheureusement, il est rarement question d’éventuelles optimisations de valorisation des protéines végétales directement destinées à l’alimentation humaine. L’infographie suivante est directement inspirée du tableau Figure SPM.3 « Potential global contribution of response options to mitigation, adaptation, combating desertification and land degradation, and enhancing food security. » p. 28 du rapport spécial du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) à destination des décideurs politiques[33] :

Estimation du potentiel d’atténuation du changement climatique et de dégradation des sols de l’amélioration de l’élevage et du changement de régime alimentaire

Nous voyons que la mesure d’amélioration de la gestion de l’élevage est notée sur les 3 premiers critères avec un impact modéré et sur les 2 suivants avec un impact fort. Cependant, le niveau d’indice de confiance accordé à ces potentiels sont jugés moyen pour le premier et faible pour les 4 autres. De plus, on peut souligner que c’est la seule mesure à atteindre l’indice maximal du coût envisagé (cf. rapport pour plus de détails). Donc, en somme, l’amélioration des techniques de gestion de l’élevage sont des mesures chères et peu fiables dans la lutte contre des problèmes environnementaux sans précédents.

Par ailleurs, le changement de régime alimentaire est la seule mesure à atteindre 3 hauts niveaux de confiance qui plus est sur 3 potentiels d’impacts forts ! Une information dont The Shift Project, association d’intérêt général qui milite pourtant pour la décarbonation volontaire de l’économie, ne fait pas mention dans son rapport d’urgence intitulé « Crise(s), climat : plan de transformation de l’économie française » de mai 2020[34]. Ce n’est pas comme si c’était le GIEC, qui examine et synthétise ce qui est publié dans la littérature scientifique sur la question de l’influence de l’homme sur le climat, était l’institut dont Jean-Marc Jancovici lui-même affirme l’impérieuse nécessité à faire confiance[35]! De s’y référer donc. Quand on parlait du point aveugle des experts climatiques[36]

          Ajoutons ici que, comme le précise George Monbiot[37], l’éditorialiste écologiste engagé sur ces questions au Guardian, l’analyse du GIEC pose problème. Le fait est, qu’elle se concentre uniquement sur les émissions de gaz à effet de serre produites chaque année par l’agriculture dans son ensemble. Elles seraient de l’ordre de 23% (point A3. p.7 du rapport spécial pour les décideurs), soit quasiment un quart de nos émissions anthropiques totales. Bien que ce chiffre soit énorme, il n’est pas représentatif de l’impact global de la production alimentaire. Il décrit cette approche comme le compte courant de l’agriculture. Elle comptabilise la quantité de gaz à effet de serre émise chaque année par en gros l’élevage, les épandages, les bâtiments et les machines agricoles. Or une deuxième approche consiste à considérer les potentialités qui découlent des mesures entreprises. Il l’appelle  « le compte de capital ». Celui-ci prend en compte le changement d’affectation des sols : le fait que des écosystèmes naturels soient transformés en terres arables. Cette approche considère donc le carbone qui serait stocké si ces terres n’avaient pas été exploitées par l’agriculture ou si elles étaient « libérées ». Ça s’appelle : le coût d’opportunité carbone. Des chercheurs ont publié un article[38] dans la prestigieuse revue Nature à ce propos et ils précisent :

Nous constatons que ces choix peuvent avoir des implications beaucoup plus importantes pour le climat qu’on ne le pensait auparavant, car les méthodes standard d’évaluation des effets de l’utilisation des terres sur les émissions de gaz à effet de serre sous-estiment systématiquement la possibilité qu’ont les terres de stocker du carbone si elles ne sont pas utilisées pour l’agriculture.

          Pour s’en rendre compte, l’utilisation des sols par l’élevage s’élève à 40 millions de km² (pâturages et champs), soit 4 fois plus que les cultures dédiées à l’alimentation végétale et 26 fois plus que l’ensemble des zones construites et des routes. Ça représente 77% des terres arables (surfaces agricoles cultivables), soit 27% des terres émergées de la planète[39]. C’est le plus gros accaparement des sols par secteur et de loin. En comparaison, les zones construites et les infrastructures représentent 1% de l’utilisation des terres émergées ! Ce qui fait que les chercheurs estiment que pour obtenir un seul kilogramme de protéines de bœuf, on a perdu l’opportunité de stocker dans les sols l’équivalent de 1 250 kg de CO2, soit autant que deux allers-retours Paris-Moscou en voiture, ou trois trajets entre Paris et Montréal en avion. Le manque de stockage de carbone dû à l’utilisation des terres pour l’agriculture doublerait l’empreinte carbone d’un français, rendant ainsi l’alimentation aussi impactante que l’ensemble de ce qu’un habitant du nord de l’Europe consomme par ailleurs. Un article[40] paru dans Libération apporte des informations complémentaires qui facilitent la compréhension de l’enjeu en question.

          Dans une nouvelle étude[41] publiée dans Nature Sustainability au début du mois de septembre 2020, le coût d’opportunité du passage à une alimentation végane a été calculé. Il représente l’équivalent des 16 dernières années d’émissions de combustibles fossiles. En allant jusqu’à tripler le budget carbone restant pour ne pas dépasser les 1,5C° de réchauffement climatique d’ici à 2100, ce coût d’opportunité représente une aubaine inespérée que nous avons collectivement intérêt à envisager sérieusement. Ici aussi, un article paru dans Libération[42] apporte des éléments de compréhension sur cette étude dont est inspiré le graphique suivant :

Emissions de carbone de 2015 à 2050 suivant l’alimentation

          Pour couronner le tout, pendant que certains s’inquiètent de l’apport d’azote aux cultures sans exploitation animale, la production de viande et de produits laitiers à eux seuls émettent plus d’azote que la Terre ne peut en supporter[43]. Tout juste publiée en juillet 2020 dans la revue Nature Food, l’étude nous apprend que la plupart des émissions proviennent d’aliments d’origine animale produits localement[44]. Etant donné l’ampleur de ses impacts et son rôle central dans les défis que nous abordons, de ce côté aussi l’urgence est décrétée.

Nous avons déjà connu une transition alimentaire !

          La conférence de Pierre Combris, économiste, directeur de recherche à l’INRA et spécialiste de l’évolution des pratiques alimentaires, nous permet d’observer les grandes tendances de l’alimentation à travers le monde[45]. Tous les pays du monde (à part peut-être la Mongolie) suivent la même tendance: plus le pays est riche plus il consomme de graisses animales et moins il consomme de glucides (féculents) suivant une dynamique inéluctable, directement liée au PIB du pays. C’est à des échelles de temps différentes que les transitions alimentaires s’opèrent.

           L’agriculture vivrière est en fait basée sur les féculents (céréales, légumineuses et tubercules) qui constituent les régimes de base de l’ensemble des populations mondiales. Ce sont tout simplement les calories les moins chères pour nourrir le plus de monde possible. Il n’est pas inintéressant de remarquer que le régime végane se base sur des niveaux trophiques similaires (étages de ce qu’on voit comme la chaîne alimentaire) tout en proposant une diversité qui assure une alimentation viable, bénéfique pour la santé et surtout très économique du point de vue des ressources. Concernant l’économie de subsistance, la population s’adapte aux ressources et les gens qui ne travaillent pas dans l’agriculture ne peuvent êtres que très peu nombreux au vu du très faible surplus. D’ailleurs, l’équilibre de subsistance signifie concrètement des famines régulières (loi de Malthus).

           Penchons-nous sur l’évolution des apports énergétiques en France de 1780 à 1960 qui donc, est représentative des transitions alimentaires observées dans tous les pays du monde avec une temporalité différente.

Evolution du niveau des apports énergétiques en France en longue période

Les 100 premières années on observe une croissance calorique très régulière jusqu’à 1880 : de 1750 kilocalorie/pers/jour avec un besoin énergétique fort (population majoritairement rurale) à 3000 kilocalories/pers/jour grâce à la révolution industrielle du 19ème et du 20ème siècle avec des besoins énergétiques plus faibles (qui diminueront à mesure de l’augmentation de la sédentarité). Le gain monstrueux de productivité grâce aux moyens de production (mécanisation) est passé de 1 tonne/actif/an (soit 8800 kcal/jour, 5 personnes à 1760 kcal/jour) à 2000 tonnes/actif/an (soit 17600000 kcal/jour, 10000 personnes à 1760 kcal/jour). En 3 siècles, au salaire minimum, on est passé en moyenne de 2H30 à 1 minute de travail pour acheter 1kg de blé !

En un siècle, on passe du minimum vital à la saturation. La structure de l’alimentation va ainsi changer car les féculents ne sont pas les aliments les plus agréables, ils ne procurent pas la satisfaction des produits plus riches, plus gras et plus salés que sont les produits transformés animaux. Dès qu’ils l’ont pu, les humains ont varié leur régime dans ce sens.

Evolution des la structure des apports énergétiques en France en longue période

En termes de nutriments, l’apport en protéines reste constant. Dans la phase de croissance quantitative de l’alimentation durant le 1er siècle, on consomme surtout des glucides complexes qu’on retrouve dans le pain, les pâtes, le riz, les céréales, certains légumes frais ou encore les légumes secs. Vient ensuite la 2ème phase à partir de 1880 où s’opère la transition nutritionnelle où la part des glucides chute et la part des lipides augmente : les protéines animales se substituent aux protéines végétales. D’après Pierre Combris, c’est le basculement du modèle alimentaire, des besoins en ressources et du statut sanitaire des populations. Puis ça se stabilise que très récemment, il y a à peine plus de 30 ans. Nous sommes la première génération de toute l’histoire de l’humanité à expérimenter ce récent modèle alimentaire.

La structure de la ration alimentaire en fonction du revenu dans le monde en 1962

Comme le graphique précédent, celui-ci (qui est un graphique de travail)[46] présente à nouveau la structure de la ration suivant le PIB avec les masses de populations, mais cette fois-ci sur la période 2007 – 2009. Il confirme l’inéluctable dynamique de la transition alimentaire entamée par plusieurs pays, par le transfert de la majorité de la masse de la population du premier étage au second (qui représente l’augmentation du PIB de la population en général).

         Nous avons vu que le changement de la structure du régime alimentaire est directement lié à l’augmentation de la consommation de produits animaux lorsque le revenu s’élève. Or, pour produire des calories animales il faut produire des calories végétales, et non inversement, il faut le rappeler. L’inéluctable transition alimentaire ne se verra pas limitée suivant la structure de la ration mais bien suivant la quantité de calories végétales mobilisables pour maintenir cette ration avec une population en demande toujours plus grande[47]. Nous savons déjà que les projections sont catastrophiques : l’étude de GRAIN et l’Institute for Agriculture and Trade Policy (IATP) nous dit que si la croissance du secteur de la viande et des produits laitiers continue comme prévu, le secteur de l’élevage pourrait absorber à lui seul, 80% du « budget » annuel d’émissions de GES compatible avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5°C d’ici à 2050, soit 4/5 des émissions admissibles…

Un espoir subsiste car, on constate qu’à proportion calorique constante il peut y avoir plus ou moins de calories d’origine animale. Il y a donc une certaine hétérogénéité. Ici, d’après cette étude, la France fait figure de plus mauvais élève; ce qui lui confère une responsabilité supplémentaire et un rôle majeur d’exemplarité à jouer dans cette nouvelle transition tant attendue. N’est-elle pas citée pour son patrimoine culinaire reconnu à travers le monde ?

Aussi, l’exemple de la Finlande prouve que la mise en place de politiques nutritionnelles est efficace. Alors qu’elle connaissait un taux de mortalité d’origine cardiovasculaire insoutenable, des campagnes nationales ont informé du rôle du cholestérol, des graisses animales et de la viande rouge. Ces incitations ont provoqué une diminution de 20% des calories d’origine animale, salutaires d’un point de vue de santé publique, mais insuffisantes au niveau des ressources et de l’environnement (sans parler des principaux concernés : les animaux).

            Tandis que les gains de productivité ont permis de sortir une partie de l’humanité de la famine, ils ont aussi exposé les pays en développement, à ce qu’on appelle le double fardeau de l’alimentation, l’inéluctable augmentation de l’obésité par la malnutrition sans avoir réglé la sous-nutrition[48]. Le phénomène d’obèses carencés à l’image d’une malnutrition par surnutrition n’est pas moins couteuse au niveau de la santé, et expose les populations à des risques sanitaires considérables. Le taux d’obésité dans le monde est de 13%, en France nous sommes arrivés à 17%[49].

Or, le régime végane composé d’aliments entièrement à base de végétaux peut être proposé pour perdre du poids et réduire son cholestérol, sans nécessairement plus d’exercice[50] (bien que ce soit recommandé), le principal avantage résidant dans le fait d’atteindre la satiété sans pour autant limiter la quantité de nourriture consommée. L’amélioration de plusieurs facteurs à risques de maladies chroniques et de qualité de vie a été observée et largement maintenue à 12 mois. Étant donné le faible coût et les avantages relatifs de cette nouvelle transition alimentaire, les décideurs politiques et les praticiens devraient proposer cette mesure adaptée à la perte de poids, dans les hôpitaux. Des recherches supplémentaires sont nécessaires afin d’identifier les personnes plus à même de réussir un changement de régime alimentaire afin de réduire les taux d’abandon et ainsi d’en augmenter l’efficacité.

             Il faut bien se rendre compte de l’enjeu majeur que représente une alimentation saine d’un point de vu de salubrité publique. Les régimes malsains présentent un plus grand risque de morbidité et de mortalité que les rapports sexuels non protégés et la consommation d’alcool, de drogue et de tabac réunis[51]. Pour le coup, l’alimentation végane a été analysée dans une étude publiée en juillet 2020 dans the BJM (the British Medical Journal)[52]. Elle a pour but d’analyser les implications sanitaires et environnementales de l’adoption de directives alimentaires nationales au niveau national et de les comparer aux objectifs sanitaires et environnementaux mondiaux, et ce, pour la population de 85 pays. Ses résultats confortent le potentiel sanitaire de l’alimentation végane en atteignant la plus forte réduction de mortalité, plus de 2 fois mieux que le taux atteint par les recommandations nationales.

Réduction de la mortalité suivant le régime  par rapport à l'alimentation actuelle (%)

De son côté, l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) a travaillé sur le scénario prospectif « agrimonde » qui a pour objectif d’améliorer le système alimentaire global en anticipant l’avenir en termes de dispositif et d’orientation de la recherche publique et de positionnement stratégique au niveau international. Il y est proposé 500kcal de calories animales maximum dans la ration alimentaire moyenne. En France, nous avons franchi ce seuil en 1880. Au minimum, il faudra donc diminuer drastiquement notre consommation de produits animaux.

La sortie de secours des éleveurs

           Tant d’un point de vue alimentaire, qu’environnemental, éthique et sanitaire[53] l’alimentation végétale offre des gages de salubrité dans nos pays riches qu’il semble aujourd’hui indispensable d’encourager au maximum. Mais qu’en est-il des éleveurs, qui, en particulier, dépendent directement de l’élevage ?

       Culturellement et traditionnellement, dominer l’animal permet de marquer symboliquement l’appartenance à un rang supérieur. Les activités violentes sont la partie émergée de l’iceberg autour desquelles, une population majoritairement d’hommes gravite (la chasse serait à 98% masculine). C’est la défense d’une position sociale supérieure, maître d’elle-même qui peut se permettre la prise de pouvoir absolu sur autrui via une chaîne d’appropriation : traque, mise à mort, dépeçage[54]. Bien que tous les éleveurs ne soient pas chasseurs, c’est bien avec des personnes qui considèrent majoritairement pouvoir tirer profit des animaux par un processus de réification qu’il faut construire.

D’un point de vue planétaire, voici ce qu’en dit la FAO dans le rapport intitulé « L’ombre portée de l’élevage »[55] p. 20 :

Bien qu’il ne joue pas de rôle majeur dans l’économie mondiale, le secteur de l’élevage est d’une grande importance sociale et politique. Il représente 40 pour cent du produit intérieur brut (PIB) agricole. Il emploie 1,3 milliard de personnes et fait vivre 1 milliard de personnes vulnérables dans le monde. Les produits d’élevage représentent un tiers de la consommation de protéines de la population mondiale et sont à la fois l’une des causes d’obésité́ et un remède possible à la malnutrition.

Bien-sûr les situations différeront suivant le pays, sa situation économique et sa capacité à soutenir la transition mais, attardons-nous sur le cas français qui nous intéresse tout particulièrement. Ici, élevage rime avec subvention au point que sans aides, 87% des éleveurs bovins pour la viande, 80% des éleveurs de moutons et chèvres, 63% qui pratiquent la polyculture-élevage et 41% des éleveurs bovins laitiers n’auraient tout bonnement pas de revenu (en moyenne, la moitié des agriculteurs auraient un résultat courant avant impôts négatif)[56]. De son côté, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) pointe une progression inexorable du poids des subventions dans le résultat des exploitations, supérieur à 100% dans certains secteurs du fait de leur déficit chronique[57].

             Par ailleurs, d’après le chercheur agronome Nicolas Salliou (que nous remercions au passage pour son aide précieuse), ce sont bien souvent les subventions aux agriculteurs dans nos contrées qui appauvrissent les paysans les plus pauvres dans les pays en développement. Au-delà de la solution pour le peu originale qu’il propose à travers son article de blog « Koc’honiñ en Breizh? Rien foutre al païs ! » (Pollution en Bretagne ? Rien faire au pays !) pour lutter efficacement contre la pollution liée aux algues vertes en Bretagne en payant les agriculteurs à ne rien faire, nous pouvons plaider pour une réorientation des subventions à des fins de reconversions locales d’éleveurs en transformateurs de produits végétaux à forte valeur ajoutée et au savoir-faire singulier, propre à chaque ferme, particulière suivant les régions, transmissible de générations en générations…

L’exemple de Christophe Favrot qui a développé les yaourts « Nomad-yo » à La Feuillée, commune du Nord-Finistère de 638 habitants, illustre parfaitement le propos. A base de céréales, ses spécialités sont fabriquées artisanalement, sous licence libre[58]. Il propose d’apprendre à les fabriquer à domicile pour acquérir son autonomie et pour les producteurs en herbe, il commercialise une licence d’utilisation du savoir-faire tout en garantissant leur indépendance[59].

A une échelle plus industrielle, « les nouveaux fermiers » sont un exemple français de produits transformés végétaux (steak, aiguillettes & nuggets) qui ont le vent en poupe. Ils formulent l’ambition d’être les « Beyond Meat » français. Ils émettent 11 fois moins de gaz à effet de serre, consomment 4 fois moins d’eau que leur homologues d’origine animale et ont un nutri-score B. Malheureusement, les lobbyistes Anvol, Inaporc et Interbev, interprofessions de la filière viande, ont décidé de les assigner en justice. Les attaques portent sur les termes « fermiers » et « viande » utilisés de façon non conforme à la réglementation par la start-up qui s’apprête à implanter en France une usine de produits alimentaires végétaux similaires à la viande. Ils ont même directement écrit au Premier ministre pour demander une action du Gouvernement[60].

Or, c’est par ce genre de produits que la transition alimentaire tant attendue s’enclenche concrètement et durablement ! Alors, effectivement, un enjeu important réside dans le fait d’offrir aux éleveurs la possibilité d’entretenir des relations avec des animaux, mais si toutes les externalités et les coûts induits, tant d’un point de vue moral que matériel sont favorables aux produits végétaux, alors, nous pouvons parier raisonnablement que la rationalité l’emporte sur un certain conservatisme motivé par la poursuite d’une tradition non soutenable. Saisissons cette occasion inédite pour l’humanité de développer des relations d’entraides qui considèrent les intérêts des individus non plus seulement à travers la maxime « ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse » mais plutôt « fais à autrui ce que tu sais pouvoir l’aider » dans une optique de solidarité animale.

           Les possibilités sont encore largement sous-estimées et donc inexploitées. Par exemple, l’augmentation de la consommation de végétaux grâce à la sensibilisation des consommateurs entraîne des flux de sous-produits et de déchets générés par les industries de transformation. Or ces sous-produits peuvent être extrêmement divers. A l’image des fruits dont on obtient pelures, graines, et chair majoritairement utilisés comme engrais, il est possible de valoriser davantage ces déchets en sous-produits à forte valeur ajoutée. Ils contiennent des biomolécules telles que des vitamines, des protéines, des minéraux, des antioxydants ainsi que de l’huile aromatique. Ces composés bioactifs présentent un grand potentiel pour leur utilisation dans l’industrie alimentaire comme ingrédient fonctionnels (qui a un effet bénéfique sur la santé) ou dans les applications pharmaceutiques et cosmétiques. Cette alternative prometteuse est mise en évidence par cette étude qui soutient qu’en plus de résoudre les problèmes de gestion des résidus de fruit, elle permet d’obtenir par des processus non-thermiques des produits à forte valeur ajoutée favorables à la santé[61].

En bonne intelligence, si un transformateur local s’associe avec une unité de production capable de valoriser ses résidus en produits bénéfiques à forte valeur ajoutée, c’est le champ des possibles qui s’ouvre de manière soutenable et sans coût caché.

Au-delà des postures et contre le statuquo

            Nous avons vu que tant du point de vu de la santé que de l’environnement et de l’éthique, remplacer les produits transformés animaux par les produits transformés végétaux est une solution évidente.

        A l’image de la précédente transition alimentaire, les produits transformés constituent notre meilleure chance pour la nouvelle transition dont une grande partie des scientifiques s’accordent à dire qu’elle est nécessaire si l’on souhaite parvenir à une alimentation soutenable. Ils constituent également notre meilleur arme contre le changement climatique en évitant le système ultra-déperditif qu’est l’élevage. Si nourrir moins de bouches est une préoccupation, nous devons planifier la sortie de l’élevage qui, en ajoute fatalement de nouvelles. Cette solution évidente, pourtant loin de faire l’unanimité, se révèle de plus en plus souhaitable aux yeux d’un nombre croissant de personnes. A l’instar des consommateurs toujours plus nombreux[62], des investisseurs[63], ne nous y trompons pas, la viande sans ses inconvénients, c’est l’avenir, très proche, dont nous vivons en direct l’émergence réjouissante.

Nous ne pouvons pas nous permettre d’êtres dogmatiques. Tout en améliorant le potentiel santé des aliments, cette transition alimentaire doit faire avec son temps. Faciliter la cuisine saine à faible coût doit être une priorité pour que chacun puisse facilement s’approprier les techniques comme peut-être d’abord des trucs et astuces, mais surtout comme nouvel art culinaire brillant[64]. Il ne faut pas réinventer la roue et l’industrie est un moyen dont on ne saurait se passer. Au contraire de stigmatiser certaines catégories de produits, il est plus judicieux de mettre en avant les plus intéressant sur le plan nutritionnel. Gardons en tête la règle des 3V (Végétal, Vrai, Varié) et la convivialité de l’acte de manger en société. Là encore, le repas végétal est le plus inclusif car tout le monde peut manger, surtout lorsque les allergies sont considérées, ce qui est souvent le cas.

           Une réelle expertise sur la transformation des aliments est à développer pour mieux différencier les produits du quotidien de ceux qu’il vaut mieux limiter aux occasions festives par exemple. Commençons par reconnaître la différence des produits transformés aux ultra-transformés et par répondre à la règle n°2 du Vrai par limiter la consommation de ces derniers à deux portions par jour maximum[65].

            Pour ce qui est de la santé, les rapports scientifiques ont établi un lien entre la consommation de fibres alimentaires et une diminution du risque de cancer colorectal. Or d’après le Programme National Nutrition Santé (PNNS), seul 13% atteignent le seuil minimum recommandé de 25 g/jour de fibre, seuil qui par ailleurs, n’a pas évolué en 10 ans[66]. Pourtant elles sont reconnues également pour contribuer à diminuer le risque de surpoids et d’obésité, facteur impliqué dans la survenue de nombreux autres cancers[67].

En définitive, la principale nocivité d’un aliment n’est pas en soi la richesse de la liste de ses ingrédients ni le nombre d’étapes de transformation (bien que ce soit des indicateurs) mais plutôt le fait que l’aliment transformé soit pauvre en fibres, riche en calories, en graisses saturées, en glucides raffinés et en sel. Malgré le fait que nous connaissons les dangers de certains modes de cuissons comme le barbecue par exemple, nous salivons rien qu’à l’odeur de ce dernier. Plutôt que d’en interdire son usage, à nous d’en optimiser son utilisation, en commençant par y cuire des saucisses végétales plus saines qui contiennent des fibres et moins de graisses saturées par exemple !

Malheureusement, une cornerisation (marginalisation opérée par une mise à l’écart volontaire) active est toujours à l’œuvre et semble s’intensifier. A l’image de l’appropriation de mots du langage commun tels que « saucisse » et « steak », la privatisation des termes utilisés pour ralentir la progression des produits transformés végétaux est en marche[68]. Faut-il y voir le soubresaut désespéré d’éleveurs, majoritairement déficitaires, le niveau de réactance des ayatollahs de l’élevage ou simplement une ultime tentative conservatrice d’enrayement de l’implacable progression du véganisme ? Une chose est sûre, le zèle de notre ancien ministre de l’agriculture et de l’alimentation l’empresse à vouloir inscrire cette mesure (contre l’intérêt général) au niveau européen…

D’ailleurs à cette échelle, un article du New-York Times[69] dénonce des pratiques de féodalisme moderne qui semblent consubstantielles aux subventions agricoles qui pourtant forment la base de l’Union européenne. En fournissant 58 milliards d’euros aux agriculteurs chaque année, c’est la campagne de subvention la plus importante de l’Union européenne et l’un des plus grand programme au monde.

La règle est que chacun est payé en fonction de la surface de terre qu’il cultive. Or le système est fait de telle manière que les subventions suivent la surface terrestre. Alors, dans les faits, les petits agriculteurs sont redevables à des barons de la terre politiquement connectés, si bien que 80% du filet de sécurité essentiel aux petits agriculteurs est capté par 20% des plus importants bénéficiaires[70].

Ce système qui est censé aider les agriculteurs qui travaillent dur et assurent la sécurité alimentaire de l’Union en stabilisant l’approvisionnement, enrichit en fait des oligarques et quelques figures mafieuses.

Profitons de l’appel des 3600 scientifiques[71] pour une réforme de la Politique Agricole Commune (PAC), qui dénoncent une distribution injuste entre agriculteurs qui « échoue à répondre aux enjeux socio-économiques des zones rurales » et fustigent un « moteur central des crises du climat et de la biodiversité » pour en faire un moyen de redistribution massif de richesse, un rempart pour une biodiversité souhaitable et une arme contre le changement climatique.

Une politique agro-alimentaire visionnaire ne demande pas seulement de défendre les intérêts économiques d’hier, mais aussi et surtout de faire émerger ceux de demain[72]. A ce sujet, si vous souhaitez en savoir plus, nous vous conseillons l’excellente conférence “Véganomics”, de l’Association Végétarienne de France (AVF), donnée par le chercheur Nicolas Treich, directeur de recherche à l’INRAE et responsable du laboratoire d’économie de l’environnement à la Toulouse School of Economics.

A TABLE !!!

[1] Classification NOVA pour la transformation des aliments, Open Food Facts

[2] Aiello, L. C., & Wheeler, P. (1995), « The expensive-tissue hypothesis: the brain and the digestive system in human and primate evolution. », Current anthropology (IF2017-2.326), citée 2491 fois

[3] Tofu Critique,  « Que mangeaient les Hommes préhistoriques ? », YouTube, 2020 

[4] Monteiro, C. A et al. (2019), « Ultra-processed foods: what they are and how to identify them. », Public health nutrition (IF2013-2.483), citée 102 fois (doi:10.1017/S1368980018003762)

[5] Frédéric Mesguich, « Pour une alimentation sur-naturelle », L’Amorce, 2020

[6] Tout compte fait, “Alimentation, l’offensive de la malbouffe continue !”, France 2, 2020

[7] Kenan Malik, « Let’s stop romanticising nature. So much of our life depends on defying it », The Guardian, 2020

[8] Loïc Chauveau, « Le poulet : un mutant à votre table », Sciences et avenir, 2019.

[9] Schnabel, L. et al. (2019), « Association between ultraprocessed food consumption and risk of mortality among middle-aged adults in France. », JAMA internal medicine (IF2018-20.768), citée 92 fois (doi:10.1001/jamainternmed.2018.7289)

[10] Ares, G. et al. (2016), « Consumers’ conceptualization of ultra-processed foods. », Appetite (IF2018-3.501), citée 30 fois (doi:10.1016/j.appet.2016.06.028)

[11] Davidou, S., Christodoulou, A., Fardet, A., & Frank, K. (2020), « The holistico-reductionist Siga classification according to the degree of food processing: an evaluation of ultra-processed foods in French supermarkets. »,  Food & Function (IF2018-3.241), citée 2 fois (doi:10.1039/C9FO02271F)

[12] Institut National du Cancer. Nutrition et prévention primaire des cancers : actualisation des données. 2015

[13] Anses. Actualisation des repères du PNNS : révision des repères de consommations alimentaires. Rapport d’expertise collective. 2016

[14] Institut National du Cancer, « Le cancer colorectal », 2019

[15] Fardet, A., & Rock, E. (2018), « Perspective: Reductionist Nutrition Research Has Meaning Only within the Framework of Holistic and Ethical Thinking. » Advances in Nutrition (IF2018-7.24), citée 16 fois (doi:10.1093/advances/nmy044)

[16] Fardet, A. (2018), « Characterization of the degree of food processing in relation with its health potential and effects. », Advances in food and nutrition research (IF2018-1.29), citée 21 fois (doi:10.1016/bs.afnr.2018.02.002)

[17] “L’obésité, un phénomène en pleine explosion dans les pays en développement”, Le Monde, 2014

[18] Salyer, S. J. & al. (2017). Prioritizing zoonoses for global health capacity building—themes from One Health zoonotic disease workshops in 7 countries, 2014–2016. Emerging infectious diseases (IF2017-7.422), citée 39 fois (doi: 10.3201/eid2313.170418)

[19] Stéphanie Perraut, « Un traitement UV-C pour les végétaux frais contaminés par des pesticides », Process Alimentaire, 2018

[20] Bourgade, H. et al., « Les innovations technologiques, leviers de réduction du gaspillage dans le secteur agroalimentaire : enjeux pour les consommateurs et pour les entreprises », agriculture.gouv.fr, 2015

[21] Ripple, W. J. et al. (2014), « Ruminants, climate change and climate policy. », Nature climate change (IF2017-19.181), citée 254 fois (doi:10.1038/nclimate2081)

[22] Suárez, M. L., Kizlansky, A., & Lopez, L. B. (2006), « Assessment of protein quality in foods by calculating the amino acids score corrected by digestibility. » Nutricion hospitalaria (IF2018-0.759), citée 17 fois

[23] Nijdam, D., Rood, T., & Westhoek, H. (2012), « The price of protein: Review of land use and carbon footprints from life cycle assessments of animal food products and their substitutes. » Food policy (IF2018-3.788), citée 423 fois (doi:10.1016/j.foodpol.2012.08.002)

[24] Westhoek, H. J. et al. (2011), « The protein puzzle: the consumption and production of meat, dairy and fish in the European Union. » European Journal of Nutrition & Food Safety (IF2019-4.664), citée 199 fois

[25] Our World in Data, « World map of protein supply »

[26] Sonesson et al. (2017), « Protein quality as functional unit–A methodological framework for inclusion in life cycle assessment of food. », Journal of cleaner Production (IF2018-6.395), citée 47 fois (doi:10.1016/j.jclepro.2016.06.115)

[27] Poore, J., & Nemecek, T. (2018). Reducing food’s environmental impacts through producers and consumers. Science (IF2018-41.063), citée 691 fois (doi: 10.1126/science.aaq0216)

[28] Jonathan Guéguen, « Emissions de gaz à effet de serre des aliments en fonction de la chaîne d’approvisionnement », apala.fr, 2019

[29] Mottet, A. et al. (2017), « Livestock: On our plates or eating at our table? A new analysis of the feed/food debate. » Global Food Security (IF2018-5.456), citée 160 fois (doi: 10.1016/j.gfs.2017.01.001)

[30] Nicolas Baudouin, « Dix protéines végétales pour une protéine animale, vraiment ? », The Critical Vegan, 2019

[31] Garnett, T. et al. (2017), « Grazed and confused?: Ruminating on cattle, grazing systems, methane, nitrous oxide, the soil carbon sequestration question-and what it all means for greenhouse gas emissions. » FCRN, citée 54 fois

[32] Our World in Data, « Daily protein plant and animal products »

[33] IPCC Special Report on Climate Change, Desertification, LandDegradation, Sustainable Land Management, Food Security, and Greenhouse gas fluxes in Terrestrial Ecosystems, Summary for Policymakers, Rapport Spécial Résumé pour les décideurs politiques, 2019, GIEC

[34]  The Shift Project, « Crise(s), climat : plan de transformation de l’économie française », 2020

[35] Jean-Marc Jancovici, « Qu’est-ce que le GIEC ? », jancovici.com, 2008

[36] Jonathan Guéguen, « L’énigme des experts climatiques face à l’urgence », apala.fr, 2019

[37] George Monbiot, « We can’t keep eating as we are – why isn’t the IPCC shouting this from the rooftops? », The Guardian, 2019

[38] Searchinger, T. D., Wirsenius, S., Beringer, T., & Dumas, P. (2018). Assessing the efficiency of changes in land use for mitigating climate change. Nature (IF2019-42.778), citée 102 fois (doi : 10.1038/s41586-018-0757-z)

[39] Hannah Ritchie and Max Roser, « Land use », Our World In Data, 2019

[40] Frédéric Mesguich, « Planète : de l’urgence de changer d’alimentation », Libération, 2019

[41] Hayek, M. N., Harwatt, H., Ripple, W. J., & Mueller, N. D. (2020). The carbon opportunity cost of animal-sourced food production on land. Nature Sustainability (IF2020-12.5), (doi: 10.1038/s41893-020-00603-4)

[42] Jean-Marc Gancille, Frédéric Mesguich, William Zylberman et Christophe Lavelle, « Changer d’alimentation pour limiter le réchauffement climatique », Libération, 2020

[43] Stéphanie Schmidt, La production de viande et de produits laitiers émet plus d’azote que la Terre ne peut en supporter, Trust My Science, 2020

[44] Uwizeye, A. et al. (2020), « Nitrogen emissions along global livestock supply chains. » Nature Food, citée 1 fois (doi: 10.1038/s43016-020-0113-y)

[45] Pierre Combris, « Croissance économique et consommation alimentaire » (1/3), TerrEthique, 2013

[46] P. Combris et P. Martin, « Structure de l’alimentation en fonction du PIB (2007-2009) », conférence Les grandes tendances de l’alimentation dans le monde

[47] Pierre Combris, « Les limites des ressources » (2/3), TerrEthique, 2013

[48] Pierre Combris, « Les maladies non-transmissibles d’origine alimentaire » (3/3), TerrEthique, 2013

[49] Karine Clément (unité Inserm 1269 NutriOmique et service Nutrition, hôpital La Pitié Salpêtrière-Charles Fois, AP-HP, Paris) et Nathalie Viguerie (unité Inserm 1048, Laboratoire de recherche sur les obésités, I2MC, Toulouse), « Obésité, Une maladie des tissus adipeux », 2019, Inserm

[50] Wright, N. et al. (2017), The BROAD study: A randomised controlled trial using a whole food plant-based diet in the community for obesity, ischaemic heart disease or diabetes. Nutrition & diabetes (IF2019-4.357) (doi: 10.1038/nutd.2017.3)

[51] Willett, W., Rockström, J., Loken, B., Springmann, M., Lang, T., Vermeulen, S., … & Jonell, M. (2019). Food in the Anthropocene: the EAT–Lancet Commission on healthy diets from sustainable food systems. The Lancet (IF2019-60.392), citée 1434 fois (doi: 10.1016/S0140-6736(18)31788-4)

[52] Springmann, M., Spajic, L., Clark, M. A., Poore, J., Herforth, A., Webb, P., … & Scarborough, P. (2020). The healthiness and sustainability of national and global food based dietary guidelines: modelling study. Bmj (IF2019-30.223), citée 4 fois (doi: 10.1136/bmj.m2322)

[53]  Jonathan Guéguen, « Kaïros : le moment opportun de changer son alimentation », apala.fr, 2020

[54] Axelle Playoust-Braure & Yves Bonnardel, « Nourrir son homme : le bon steak et le joli morceau (2/2) », Les couilles sur la table, 2020

[55] Henning Steinfeld et al., « L’ombre portée de l’élevage, impacts environnementaux et options pour leur atténuation », FAO, 2006

[56] André Thomas, « Subventions. Un agriculteur sur deux s’en tire grâce aux aides », 2019

[57] Samuel Laurent et Jérémie Baruch, « Crise de l’élevage : comprendre la fixation des prix, des marges et des subventions », Le Monde, 2015

[58] « Nomad-yo : un « yaourt » bio, en pleine expansion », Ouest-France, 2016

[59] Tanguy Homery, « Bretagne. Ses yaourts sans lait essaiment en France », Ouest-France, 2020

[60] MA Carré, « « Viande végétale » : Anvol, Inaporc et Interbev attaquent « Les Nouveaux Fermiers » en justice », réussir.fr, 2020

[61] Dimou, C., Karantonis, H. C., Skalkos, D., & Koutelidakis, A. E. (2019). « Valorization of fruits by-products to unconventional sources of additives, oil, biomolecules and innovative functional foods. » Current pharmaceutical biotechnology (IF2018-1.49), citée 5 fois

[62] Hélène Gully, « En pleine crise de coronavirus, la viande sans viande cartonne », Les Echos, 2020

[63] L’Union Européenne veut investir 10 milliards d’euros dans le végétal et les protéines alternatives, Vegan Magazine, 2020

[64] Marie Laforêt, VEGAN, 100% Végétal

[65] Fardet, A., Christodoulou, A., Frank, K., & Davidou, S. (2019), « La classification holistico-réductionniste Siga des aliments en fonction de leur degré de transformation. », La revue des industries agro-alimentaires, citée 1 fois

[66] NACRe, « Fibres alimentaires et risque de cancer, les principales données », INRAE, 2020

[67] NACRe, « Surpoids, obésité et risque de cancer, les principales données », INRAE, 2020

[68] F. Alteroche, « Les mots « saucisses » et « steaks » réservés aux seuls produits carnés », Réussir Bovins Viande, 2020

[69] Selam Gebrekidan et al., « The Money Farmers: How Oligarchs and Populists Milk the E.U. for Millions », The New York Times, 2019

[70] Utrecht University of Applied Sciences, «True: “80 percent of the european money for agriculture goes to the 20 percent largest farmers” », Eufactcheck.eu, 2019

[71] Maxime Paquay, « 3600 scientifiques interpellent la « désastreuse » politique agricole européenne », RTBF, 2020

[72] Association Végétarienne de France (AVF), « Faut-il maintenir un modèle agricole dysfonctionnel ? », vegetarisme.fr, 2020

La première de couverture du rapport aurait pu ressembler à ça :

La défense de l’élevage quoi qu’il en coûte

Réponse aux arguments de défense de l’élevage spécifiquement formulés dans l’article de Frédéric Denhez publié dans Le Figaro en avril 2021.

L’élevage : un maximum d’impact pour un minimum d’apports

Les animaux dépendent des végétaux et non inversement, et ça, c’est une notion de base de l’écologie qui nous l’apprend : le niveau trophique.

Polémique artificielle contre des produits végétariens et véganes plus sains

Le dénigrement médiatique contre les produits transformés végétaux lutte contre leurs avancées sanitaires, écologiques et éthiques.

L’origine animale des pandémies !

Si nous ne changeons pas notre rapport aux autres animaux, nous n’éviterons pas de futures épidémies , avec toutes les conséquences que nous connaissons désormais.

Vite, la nouvelle transition alimentaire !

Au delà des préjugés sur les aliments transformés, nous proposons de prioriser les produits végétaux qui, s’ils sont transformés, représentent notre meilleur espoir pour la nécessaire nouvelle transition alimentaire.

Kaïros : le moment opportun de changer son alimentation

Souhaitons-nous allouer davantage de ressources à la gestion de crises épidémiques où préférerons-nous réorienter notre alimentation pour maximiser nos chances d’évitement ?

L’énigme des experts climatiques face à l’urgence

Au travers les résultats des études du cabinet Carbone 4 ainsi que des études internationales d’ampleurs, nous tentons de démontrer que le curseur ne pointe délibérément pas vers la meilleure stratégie de réduction des émissions de GES.

Même importé et suremballé, il vaut mieux manger végétal !

C’est sous ce titre un brin provocateur, qu’à été publié notre entretien lors de notre rencontre avec Le Magazine des Autres Possibles (MAP pour les intimes). Bien sûr, le mieux est d’éviter le plus possible les emballages et de privilégier la localité, mais pas envers et contre tout, c’est ce que nous allons voir ici…

« Tu dois manger tous les jours la même chose »

L’énigme des experts climatiques face à l’urgence

Ou comment passer à côté du principal facteur émetteur mondial qu’est l’élevage

Temps de lecture estimé : 35 min

Résumé

Introduction

Le cas carbone

D’un texte riche et inspirant…

Une approche transversale intéressante

Insoumis aux entournures

…au point aveugle problématique que constitue l’élevage

De quelle quantité d’émission de GES l’élevage est-il responsable ?

Des études françaises…

…aux études internationales

Notre psychologie au secours du climat

L’approche de Jean-Marc JANCOVICI comme cas d’école

L’élevage ne concerne pas uniquement le secteur de l’alimentation

L’indicateur économique nous renseigne sur l’ampleur de la situation

Le dilemme énergétique

La démographie pose-t-elle vraiment problème ?

Partage contre accaparement des ressources

Conclusion

Message

Au travers les résultats des études du cabinet Carbone 4 ainsi que des études internationales d’ampleurs, nous tentons de démontrer que le curseur ne pointe délibérément pas vers la meilleure stratégie de réduction des émissions de GES.

Résumé

En ne pointant délibérément pas l’abandon de l’élevage comme solution pour le climat, l’article de novethic « Le classement des meilleures solutions pour le climat » invisibilise le principal facteur d’émission de Gaz à Effet de Serre. Une considération dont on ne peut pas se passer alors qu’y est évoqué l’urgence, la radicalité et même un certain déploiement agressif de solutions ! Si nous ne changeons pas d’orientation d’ici à 2020, s’alarmait Antonio Guterres alors secrétaire général de l’ONU, nous risquons des conséquences désastreuses pour les humains et les systèmes naturels qui nous soutiennent.

Ce cas n’est malheureusement pas isolé : nous constatons régulièrement cette incohérence dans le discours des experts largement relayé par les médias. Dès lors, quel doit être le sens des priorités pour agir efficacement contre le réchauffement climatique ?

Par l’analyse des travaux et discours du Monsieur Climat Français, Jean-Marc Jancovici, et au travers d’une interview choisie, ce rapport met en lumière cet étrange ordre des priorités qui place les questions liées à l’élevage et à l’alimentation au second plan alors qu’elles s’en situent à la pointe. Etant donné les enjeux graves autour du réchauffement climatique, il est essentiel de savoir où porter l’effort. Alors que nous nous focalisons sur l’aviation et le numérique, tant et si bien que la honte de prendre l’avion reçoit un écho de plus en plus fort, ces deux secteurs participent respectivement à hauteur de 2 et 4% des émissions de Gaz à Effet de Serre mondiales (soit 25 et 13 fois moins que l’élevage selon l’estimation de Jean-Marc Jancovici*).

Au-delà de son cas, ce document pointe la dissonance cognitive à laquelle nous faisons face. Bien que les experts démontrent à longueur d’études que le plus fort potentiel de réduction d’émission se situe bien sur l’alimentation, ils peinent à en déduire les recommandations claires vis-à-vis du changement de comportement à adopter. Abandonner l’élevage et donc profondément, voir totalement végétaliser l’alimentation entraineraient pourtant une réduction de ¾ des émissions du seul secteur de l’alimentation.

Ce rapport est également l’occasion d’une présentation factuelle du dilemme énergétique qu’impose l’élevage face au dérèglement climatique. A APALA nous tenons à mettre les faits au cœur des enjeux majeurs de notre époque et à démontrer les insuffisances de rigueur, même chez des intellectuels qui ont par ailleurs tout notre respect pour l’incroyable travail accompli.

Introduction

Nos sociétés contemporaines émettent de plus en plus de Gaz à Effet de Serre (GES) qui réchauffent l’atmosphère en absorbant le rayonnement infrarouge. Ils diminuent la propension qu’a notre atmosphère à renvoyer l’énergie du soleil dans l’espace en la gardant sur Terre. Ce piégeage de chaleur est le phénomène d’augmentation des températures moyennes océaniques et atmosphériques plus connu sous le nom de réchauffement climatique. D’après les climatologues, plus de 70% de ce forçage radiatif serait imputable aux énergies dites carbonées. Or nous consommons de plus en plus d’énergie carbonée d’origine fossile, qui provient du charbon, du pétrole et du gaz. Si bien que de 2000 à 2018, la consommation de charbon a augmenté 11 fois plus que le solaire et 5 fois plus que l’éolien dans le monde.[1] Nous voyons donc ici à quel point il est dangereux de compter sur l’essor des énergies renouvelables qui ne font qu’ajouter leur production au lieu de la substituer. Nous aurions déjà mesuré une augmentation de +1°C par rapport à la seconde moitié du 19ème siècle et les dernières prévisions pessimistes annoncent +7°C d’ici à 2100.[2] Pour s’en rendre compte, il y a 20 000 ans à l’âge glaciaire, tandis qu’il faisait en moyenne 5°C de moins qu’aujourd’hui: plusieurs kilomètres de glace recouvraient l’Amérique et l’Europe du Nord, la France ressemblait au nord sibérien actuel et la mer était plus basse de 120 mètres ! [3] Aujourd’hui l’augmentation est de 50 à 100 fois plus rapide. Faisant face à l’élévation de température la plus rapide que la Terre n’ai jamais connue, nous devons néanmoins nous accommoder à un monde aux ressources physiques limitées.

Auteur principal du Bilan Carbone de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie), Jean-Marc JANCOVICI a fondé Carbone 4, le cabinet de conseil sur la transition bas carbone. Il est le président de l’association The Shift Project qui milite pour la décarbonation volontaire de l’économie. Venant d’être nommé au Haut conseil pour le climat qui est l’organisme chargé d’émettre des avis et recommandations sur la mise en œuvre des politiques et mesures publiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre en France, il incarne la personne incontournable de la problématique. Par ailleurs, très suivi dans nos réseaux, il se révèle très influent dans les milieux sensibilisés. Il est un peu le ״Monsieur Climat français״. C’est pourquoi nous croyons pertinent d’analyser le positionnement des experts climatiques par son biais. Saluons l’engagement constant dont il fait preuve à longueur de conférences, tables rondes, interview, auditions, vidéos etc… en général, et pour cet article en particulier qui participe à visibiliser la question environnementale notamment à travers les gisements de ressources.

Au travers la critique de son interview, « l’Europe est en décroissance énergétique depuis 2007 »[4] paru dans le Hors-Série n°6 de Socialter, « L’avenir sera low-tech » que nous vous conseillons chaudement, nous tenterons de mettre en exergue l’écart entre ses résultats et ses recommandations, ce qui fatalement, nous est préjudiciable. Tout semble bien confirmer que même un expert comme Jean-Marc Jancovici mobilise plus d’énergie sur des problématiques secondaires (comme le transport) plutôt que sur l’élevage, dont il affirme pourtant lui-même la prépondérance dans le bilan carbone mondial.

Le cas carbone

Dans une optique de recherche de solution à la réduction d’impact environnemental de nos actions, l’empreinte carbone est l’indicateur privilégié. Le pouvoir de réchauffement climatique des émissions de gaz à effet de serre n’étant plus à démontrer, c’est la mesure de référence qu’il convient de considérer pour aiguiller nos choix tant au niveau collectif qu’individuel. Commençons ici par ses  explications concernant la comptabilité carbone, dispensées aux étudiants des Mines.

La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC)[5] qui a été adoptée au cours du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992 par 154 États (plus les pays membres de la Communauté européenne) est la première tentative, dans le cadre de l’ONU, de mieux cerner ce qu’est le changement climatique et comment y remédier. La conclusion selon M. Jancovici :

  • On va se donner pour objectif de maintenir le changement climatique entropique à des niveaux qui ne présentent pas de dangers pour l’Homme.

La comptabilité carbone est en fait le bilan carbone. Elle regarde avec des unités physiques (unités de masse) la quantité de carbone qu’on extrait du sol et, qu’une fois oxydé, on envoie dans l’atmosphère. Il est initialement conçu pour donner une visibilité sur la contribution de nos activités à l’enrichissement atmosphérique en CO2 et par construction il renseigne (avec la même métrique) sur l’épuisement des ressources (le carbone est initialement extrait d’un gisement de combustible fossile). La même comptabilité physique nous permet donc de nous attaquer à la question de la disponibilité en combustibles fossiles ainsi qu’à celle du réchauffement climatique.

Les caractéristiques physiques et chimiques des gaz à effet de serre font qu’il est légitime d’agréger les émissions de CO2 d’où qu’elles viennent. Ils ont une très grande longévité chimique dans l’atmosphère qui se compte en décennies voir en siècles. Or l’atmosphère à un système de circulation à grande échelle qui fait qu’elle est brassée sur sa totalité en l’espace d’un ou deux ans. Le lieu de l’émission n’a donc strictement aucune espèce d’importance. C’est la raison pour laquelle, en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, il est légitime de ne pas se soucier de leur lieu d’émission pour tenir compte de leur impact sur le changement climatique. Autrement dit, l’atmosphère représente un grand pot commun où personne ne va hériter des impacts de ses propres émissions. Un inventaire des émissions permet de comprendre de quels processus dépend l’activité. Le bilan carbone vise à caractériser les liens de dépendances.

Il y a donc un intérêt général humain à considérer les émissions de GES de chacun. S’en sentir concerné semble constituer la première étape.

D’un texte riche et inspirant…

Une approche transversale intéressante

Tout d’abord cette interview est une bonne occasion d’apprendre de nouvelles choses : les sociétés auraient été techniquement low-tech mais aussi plus rigides qu’aujourd’hui. Contre intuitivement, la spécialisation était plus importante et c’est la technologie qui nous a permis une forme de liberté individuelle. Quant aux civilisations historiques européennes et asiatiques, elles faisaient preuve d’ingéniosité pour pallier à la rareté locale d’une ressource. Plutôt que d’ignorer la contrainte elles reconnaissaient ses limites de manière à optimiser son exploitation.

Son constat est sans appel : trop de ressources ont été employées à tort et à travers, pour des suppléments de confort optionnels rendant insoutenable notre mode de vie. Diminuer les flux de matières premières et rendre explicite l’arbitrage aujourd’hui implicite sont désormais impératifs.

 

Insoumis aux entournures

Alors que nous connaissons ses positions à propos de la préservation de l’énergie nucléaire pour surmonter le dérèglement climatique comme amortisseur de la contraction, il rend responsable le système médiatique du manque de conscience écologique de la population.

Faisant fi des convenances, avec aussi un brin d’impertinence, il préconise des changements plus ou moins radicaux, allant de la réduction par 3 de la consommation des voitures avant de passer à l’électrique, à la question de la liberté des propriétaires de logements vacants.

Conscient que le nouveau point d’équilibre risque de contraindre davantage nos libertés individuelles, il invoque un régime désirable et ludique pour espérer y parvenir. Enfin, plutôt que d’imaginer un niveau de vie à l’arrivée, Jean-Marc Jancovici préfère envisager la dynamique pour y parvenir, ce qui n’est pas pour nous déplaire.

…au point aveugle problématique que constitue l’élevage

                En traitant de manière transversale la question climatique, J.M. Jancovici questionne des sujets à priori éloignés des enjeux énergétiques. A ce titre, il prend régulièrement des positions radicales pour espérer limiter notre empreinte énergétique. Diminuer tôt ou tard la population humaine ou interdire les greffes d’organes pour les personnes de plus de 65 ou 70 ans en sont deux exemples significatifs. Il nous semble alors légitime de nous questionner sur la pertinence de tels propos. Est-ce vraiment sur ce genre de levier que se situent les principales marges de manœuvres ? Il affirme lui-même que les choix pour réduire notre impact environnemental sont mal éclairés lorsqu’il s’agit de se mettre délibérément au régime pour durer.

Paradoxalement, M. Jancovici sous-estime son manque d’éclairage sur l’apport de l’élevage pour espérer résoudre la crise environnementale. A contrario, il préfère des sujets comme l’aviation et le numérique, alors même que d’après ses propres résultats, les marges de manœuvre y sont très limitées.

Pourquoi est-ce que des experts compétents biaisent-ils en définitive leurs propres résultats d’étude ? Quelles motivations peuvent pousser un scientifique à minorer, consciemment ou inconsciemment, ses propres chiffres ?

De quelle quantité d’émission de GES l’élevage est-il responsable ?

Toujours dans son cours intitulé « La comptabilité carbone »[6], Monsieur Jancovici a soumis à l’expertise des étudiants de l’école des Mines des cas concrets à l’aide de bilans carbone d’un distributeur d’eau, d’un opérateur téléphonique, d’une société de BTP, d’une banque (hors prêts) ainsi qu’un organisme public de promotion des échanges culturels. Le but étant de dévoiler la pertinence de telle ou telle action qui aurait à priori été plébiscité, ce petit exercice d’analyse rapide de cas pratiques révèle toute l’utilité des bilans carbone. Si une diminution des émissions carbone est souhaitée, son bilan permet de comptabiliser les postes et aide ainsi à choisir le ou les actions les plus impactantes pour parvenir le plus efficacement et le plus facilement possible au résultat escompté.

Pour l’opérateur téléphonique français, l’électricité de chargement des téléphones portables se révèle ainsi être un poste d’émission marginal comparé à leur fabrication par exemple (facteur 10). L’action la plus intéressante quant à elle, semble être d’éviter de passer à la 5G comme le mentionne très justement un étudiant. Bien-sûr ces arbitrages impliquent des contreparties, qui vont généralement à l’encontre des intérêts de l’entité ainsi étudiée. Des arbitrages peuvent alors être réalisés en toute conscience si l’analyse fait état des éventuels coûts cachés potentiellement préjudiciables à l’entreprise.

A l’instar des différents cas concrets présentés aux étudiants, l’analyse du bilan carbone mondial par secteur nous renseigne sur les marges de manœuvre applicables à la réduction globale des gaz entropiques. Le 5 mars 2016, nous avions adressé une lettre ouverte à Jean-Marc Jancovici [7] concernant l’évaluation des émissions réellement imputables au secteur paraissant prépondérant dans la balance de par son imbrication sectorielle : l’élevage.

״L’élevage concentrerait à lui seul 14.5% des GES selon la FAO [8] mais 51% selon le World Watch Institute [9] qui affirme prendre en considération   la   respiration   du   cheptel   mondial. Sur   votre   visuel   «Décomposition   des émissions mondiales en 2014» 20% des émissions sont imputées à l’agriculture en générale. La  déforestation  représente  également  8%  du  total. Or toujours selon la FAO, l’élevage est responsable de 70% de la déforestation actuelle. Alors, quelles sont réellement les émissions imputables à l’élevage? ״

A cette question il nous avait précisé à juste titre :

״Sur la part de l’élevage dans les émissions mondiales, il faut sommer les émissions directes du cheptel (rumination, déjections), celles de la culture des céréales qui alimentent les bestiaux (protoxyde après épandage des engrais, diesel des tracteurs), voire de fabrication des engrais N pour la culture des céréales qui alimentent le cheptel, et enfin la déforestation en amont clairement imputable à l’alimentation animale (pâturages, soja).

La respiration n’entre pas en ligne de compte (attention à ne pas confondre avec rumination). La respiration restitue à l’atmosphère, sous une forme oxydée, le carbone contenu dans les plantes mangées par l’animal, et ce carbone provient… de l’atmosphère. C’est donc un cycle fermé. ״

Et nous a répondu sans détour : ״A vue de nez, j’accepte l’idée que ça fait une moitié au moins. ״

Or comme l’a très justement rappelé M. Jancovici ״les raisonnements en parts de camembert ne représentent pas les dépendances qu’il peut y avoir entre deux parts. ״ La déforestation et l’agriculture en constituent un très bon exemple.

Une moitié au moins… force est de constater qu’une telle information ne s’est jamais propagée jusqu’alors. Tout le monde semble avoir retenu que l’élevage représente à lui seul une part plus importante que celle de l’ensemble des transports réunis (13,5%)[10], très loin d’une moitié. Selon ses dires, ce résultat serait en fait obtenu en ramenant le pouvoir de réchauffement global (PRG) du méthane et du protoxyde d’azote sur une période de 20 ans au lieu des 100 ans communément utilisés[11]. Quelle échelle est alors aujourd’hui la plus judicieuse à utiliser ? Sa réponse semble nous renseigner quant à son avis sur cette question. Cependant, des désaccords semblent subsister sur la méthodologie à privilégier. Le seul passage d’une échelle de 100 à 20 ans ne permettant pas d’arriver à la moitié des émissions mondiales, mais plutôt aux alentours des 30%, quels sont alors les points implicites permettant d’y parvenir ?

Des études françaises…

Dans son article « Combien de gaz à effet de serre dans notre assiette ? »[12], M. Jancovici arrivait en 2010 à la conclusion que l’alimentation représentait environs 1/3 de nos émissions françaises. La dernière mise à jour date de 2017. Dans « Notre (r)évolution carbone »[13] son cabinet d’audit, Carbone 4 dévoilait précisément nos émissions de carbone : 23,6% pour l’alimentation avec 75% de viandes et produits laitiers soit 17,7% du total.

Déjà, une différence importante peut être constatée entre l’analyse sectorielle et la moyenne individuelle, la part des émissions liée à notre alimentation passe de 1/3 à 1/4. Seules des précisions quant aux méthodes de calculs semblent pouvoir éclaircir ces résultats.

Dans son dernier rapport « Faire sa part ? »[14], Carbone 4 précise le pouvoir et les responsabilités des individus, des entreprises et de l’état face à l’urgence climatique toujours à l’aide de ces fameuses parts d’émissions issues de bilans carbone. On y apprend que le passage d’un régime carné à un régime végétarien représente à lui seul 10% de baisse de l’empreinte totale (40% du total de la baisse maximale induite par les changements de comportements étudiés). Précision apportée : ״comparaison des facteurs d’émissions «Repas moyen» et «Repas végétarien» de la Base Carbone de l’ADEME. Les effets de bord tels que l’impact de la suppression de l’utilisation des déjections animales dans les amendements n’ont pas été pris en compte. ״

On retrouve environ ce chiffre à partir d’un simple produit en croix sur la réduction en pourcentage qu’impliquerait la suppression des viandes de l’alimentation de « Notre (r)évolution carbone » (9,7%). Ça semble logique, c’est Carbone 4 qui a produit les deux études.

…aux études internationales

Selon une étude publiée en 2013 basé sur le modèle suédois (Åström et al. 2013)[15], le régime végétarien permettrait de réduire de 46% la part d’émission de l’alimentation. Si on applique alors ce pourcentage à la part de « Notre (r)évolution carbone », on retombe sur 10,9% soit environs la même réduction annoncé par Carbone 4 au pourcentage près.

A la page 9 du rapport « Faire sa part ? » la remarque : ״ Parmi les actions individuelles à plus fort impact, le passage d’un régime carné à un régime végétarien, voire végétalien, est significatif ״

Ces deux régimes ne sont pourtant pas les mêmes et leur analyse sectorielle détaillée montre que les produits laitiers représentent à eux seuls 34% de la part de l’alimentation soit plus de 8% du total. Alors que le végétalisme bien mené est un régime viable pour tous à toutes les étapes du cycle de vie, bon pour la santé et bénéfique pour la prévention et le traitement de certaines maladies (Craig et al. 2009)[16], pourquoi ne pas envisager conséquemment un tel régime ? Bien qu’il s’agisse de régimes alimentaire ; un, plus poussé que l’autre pourrait-on dire, cet amalgame est incompréhensible à une telle différence de niveau d’émission.

Le Foodwatch allemand de son côté, a estimé que passer à une alimentation végétalienne réduirait de 87% les émissions liées à l’alimentation[17]. En appliquant à nouveau ce pourcentage à notre proportion de viandes et de produits laitiers dans « Notre (r)évolution carbone », nous arriverions à 20,1% de réduction d’émission de GES sur notre bilan total. Non loin des 17,7% calculés à partir des résultats de Carbone 4. Soit une réduction de 1/5 des émissions totales de GES.

Ces résultats sont bien-sûr approximatifs. Pour ce qui est des produits en croix brut appliqués aux résultats détaillés de Carbone 4, ils ne prennent pas en compte une augmentation de la ration de fruits, légumes, céréales, oléagineux, noix etc à laquelle nous pouvons nous attendre. Cependant, compte tenu des faibles taux d’émission des aliments d’origine végétale, et de la non prise en compte d’impacts tels la suppression de l’utilisation des déjections animales dans les amendements nous pouvons raisonnablement considérer ces résultats.

 

Une étude américaine a évalué que les émissions induites par un régime omnivore d’origine 100% locale sont 7 fois supérieures à celles induites par un régime végétalien non local (Weber C.L. et al., 2008)[18]. Il y est également constaté que, bien que les denrées alimentaires soient transportées sur de longues distances en général (livraison moyenne de 1 640 km et chaîne d’approvisionnement du cycle de vie de 6 760 km en moyenne), les émissions de GES associées aux aliments sont dominées par la phase de production, représentant 83% des 8,1 t des ménages américains moyens (empreinte CO2e / an pour l’alimentation). Le transport dans son ensemble ne représenterait que 11% des émissions de GES du cycle de vie, et la livraison finale du producteur au détaillant que 4%.

L’étude de Poore et Nemecek (2018)[19] serait une des études alimentaires la plus vaste menée à ce jour. Publiée dans la revue Science, elle a collecté les données issues d’un échantillon de près de 40 000 exploitations agricoles dans 119 pays et couvre 40 produits alimentaires représentant 90% de tout ce qui est consommé. L’impact général de ces aliments a été évalué : utilisation des terres, émissions de GES, utilisation de l’eau douce, pollution de l’eau (eutrophisation) et pollution atmosphérique (acidification). Elle confirme l’écart important qu’il existe entre les émissions des produits végétaux et animaux[20]. M. Jancovici l’avait présenté sur un graphique (Emissions de gaz à effet de serre liées à la production d’un kg de nourriture, en kg équivalent carbone, avec une discrimination par gaz, pour les produits dits « conventionnels »)[21]. D’après lui, les émissions de gaz à effet de serre liées à la production d’un kilogramme de nourriture en système biologique restent du même ordre, voire augmentent un peu[22]. Il précise : cela est lié au moindre rendement des cultures, et au fait que les amendements bio (fumiers par exemple) conduisent aussi à des émissions de protoxyde d’azote.

Cet écart important se révèle à chaque nouvelle étude, qu’il soit question d’émission de gaz à effet  de serre, de consommation d’eau, d’occupation des terres arables, etc. Ce gap pourrait être représenté par deux courbes de tendance. Une appliquée aux produits végétaux, l’autre aux produits animaux. On verrait alors qu’il existe clairement un saut quantitatif d’émissions, de consommation et de monopolisation des ressources dans la très grande majorité des cas de figures ce qui n’est significativement pas le cas comparé au local, biologique de saison.

 

Springmann et al. (2018)[23] ont produit une autre étude d’ampleur qui tend à confirmer ces résultats au niveau global. Les chercheurs de l’Université d’Oxford ont modélisé les systèmes alimentaires de 159 pays sur la base de 62 produits agricoles entre 2010 et 2050 en faisant varier les régimes alimentaires, la performance des pratiques agricoles, et la réduction des pertes alimentaires. 5 indicateurs ont été considérés : émissions de GES, empreinte eau bleue (irrigation comprise), occupation des sols, consommation de phosphore et d’azote chimique. Conclusion :

  • Le changement de régime alimentaire constitue le plus gros levier de la transition.

Brent F. Kim et al. (2019)[24] ont mené une étude d’ampleur en modélisant les empreintes de GES et d’eau de neuf régimes alimentaires de plus en plus végétaux, alignés sur les critères d’un régime alimentaire sain, spécifiques à 140 pays. Une transition théorique vers un régime végétalien a permis de réduire de 70% en moyenne les empreintes de GES liées au régime alimentaire par habitant, par rapport au niveau de référence. Les régimes végétaliens avaient les empreintes de GES par habitant les plus faibles dans 97% des pays étudiés. Compte tenu des faibles empreintes de GES par kilocalorie de la plupart des aliments d’origine végétale, même une augmentation substantielle de leur consommation n’a que très peu d’effets sur les émissions globales de l’alimentation. Une remarque intéressante est que dans 95% des pays, les régimes comprenant uniquement des produits d’origine animale pour un repas par jour émettent moins de GES que les régimes lacto-ovo-végétariens (dans lesquels les viandes terrestres et aquatiques étaient entièrement éliminées). Ceci s’explique en partie par le poids équivalent carbone considérable des produits laitiers.

Enfin l’étude de GRAIN et l’Institute for Agriculture and Trade Policy (IATP) nous dit que si la croissance du secteur de la viande et des produits laitiers continue comme prévu, le secteur de l’élevage pourrait absorber à lui seul, 80% du « budget » annuel d’émissions de gaz à effet de serre compatible avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5°C d’ici à 2050. Autrement dit, 4/5ème des émissions admissibles !

 

A l’instar de Herrero et al. (2011)[25], nous pensons qu’il est impératif de connaître la part des émissions de GES réellement imputable à l’élevage, dans sa globalité, afin de la considérer conséquemment, c’est-à-dire à la hauteur de son impact. De telles disparités sont incompréhensibles, 14,5%, 20%, 30% et 51% sont écartés de plus d’un facteur 3, pour des proportions aussi massives c’est le seul et unique cas, les hypothèses ne parvenant décidément pas à expliciter les résultats.

 

Notre psychologie au secours du climat

A première vue, si nous partons de l’hypothèse que nous avons toutes les informations, nous pouvons raisonnablement espérer nous mettre en action afin d’endiguer le dérèglement climatique. Or, il semblerait que des mécanismes réfractaires au changement soient à l’œuvre. Pour changer ses habitudes il faut sortir de sa zone de confort, et ça n’est pas chose aisée. Une motivation certaine doit nous permettre de faire évoluer nos actions quotidiennes durablement.

La première partie de l’émission « Sauver la planète : pourquoi est-ce si difficile ? » de Xenius sur ARTE, (jusqu’à 7 min 30 s) nous renseigne sur notre difficulté de changer de comportement malgré nos bonnes intentions. La deuxième partie manque cruellement sont objectif comme toujours, mais ne nous y attardons pas car les ressorts y sont les mêmes que pour notre cas d’étude.

Susan Fiske et Shelley Taylor ont appelé « avarice cognitive » le fait qu’en situation de concurrence, toute personne opte pour une proposition qui produit le plus d’effet cognitif pour le moindre effort mental.[26] Ici, la psychologue environnementaliste Ellen Matthies, reprend cette théorie à son compte en nous disant que les êtres humains tendent à penser, analyser et percevoir les choses en optant pour les biais cognitifs les plus connus.[27]

Pour changer factuellement, il faut donc que le cerveau enregistre au préalable, de nouveaux chemins comportementaux. C’est le rôle d’une structure cérébrale bien particulière : les ganglions de la base. Lorsque nous apprenons quelque chose de nouveaux, conduire par exemple, nous répétons sans cesse les mêmes mouvements. Cela entraine la formation dans notre cerveau, de ce qu’on pourrait appeler, des sentiers battus. A chaque fois que nous les empruntons, ils se consolident. Petit à petit, notre cerveau enregistre ce processus dans les ganglions de la base, ce qui nous permet de développer des automatismes. Nous conduisons sans avoir besoin de beaucoup réfléchir. Problème, une fois ancrés, ces comportements automatisés sont difficilement modifiables.

Toujours selon Ellen Matthies, ce qui serait réellement efficace sont les intentions d’implémentation qu’elle illustre par cet exemple : pour effectivement prendre le vélo plutôt que la voiture, il faut se représenter en image la prochaine course de prévue, se projeter au moment d’aller chercher son vélo et de partir. Plus le nombre de projection est élevé, plus c’est efficace. Le cerveau enregistrerait plus facilement ce nouveau comportement car nous aurions déjà envisagé notre plan d’action avant même d’être confronté à la situation. Au début il est conseillé de se fixer des objectifs modestes. Un problème majeur est que notre environnement regorge d’informations qui inondent notre cerveau, rendant difficile toute nouvelle implémentation. Elle ajoute : malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de formuler des intentions d’implémentation pour tous les domaines comportementaux qui existent sans risquer un surmenage. Mieux vaut donc commencer par se concentrer sur un objectif.

Les intentions d’implémentation seraient donc nécessaires à tout changement factuel de comportement dans le temps, l’objectif étant primordial pour le passage à l’action. Ceci-dit, encore faut-il qu’il soit le bon !

Il semble donc particulièrement important de focaliser sur les bons objectifs afin de se donner une conduite à suivre. L’étude de cas suivante tente de démontrer ces manquements qui passent largement inaperçus aux yeux du public pourtant le premier concerné.

L’approche de Jean-Marc Jancovici comme cas d’école

En moyenne, passer à un régime végétarien réduit de 4 fois plus ses émissions de CO2 comparé à ne plus prendre l’avion. Ce qui nous amène donc à une réduction de 2,12 t CO2/pers/an pour un régime végétalien, ce qui équivaudrait à 7,8 fois plus que de ne plus prendre l’avion… 7,5 fois par rapport au découpage Carbone 4. Une action individuelle qui ne réduirait non plus de 10% mais de 20% son empreinte carbone ne devrait-elle pas être clairement mise en avant ? Surtout qu’il n’existe pas d’autre action individuelle permettant de régler 1/5ème du problème !

Une « rapide » analyse des publications Facebook du compte de M. Jancovici[28] permet d’avoir un aperçu des sujets marottes qui sont (supposons-le) représentatifs de son état d’esprit. L’attribution personnelle des publications ne saurait être faite au vue du nombre de personnes qui gèrent et donc publient sur sa page Facebook.

80 publications en 1 mois dont 6 qui abordent de près ou de loin le sujet de l’élevage et 2 au sujet de la viande industrielle majoritairement responsable de la déforestation amazonienne. Une seule publication pointe lourdement l’élevage pour les émissions de méthane des bovins, et la déforestation qu’il induit depuis le début de l’humanité, seulement si on clique sur « Afficher la suite » car sinon, le titre n’est pas très parlant : Comment les sols et l’agriculture peuvent aider le climat[29]. En parcourant l’article, on apprend finalement que ״ Les prairies utilisées par l’élevage ont, d’ailleurs, un rôle positif reconnu pour le climat : elles sont classées parmi les meilleurs stockeurs de carbone dans les sols, avec les forêts, selon l’INRA. ״ A ce sujet, le stockage des prairies semble largement surestimé d’après cette petite vidéo[30] de référence très bien réalisée, mais ne nous égarons pas.

Suivant régulièrement depuis plus de 5 ans les interventions de M. Jancovici, nous pouvons nous rendre compte de la place que prend l’élevage dans ses réflexions. Notre lettre ouverte avait donné lieu à une réponse quelque peu surprenante de sa part. Nous avons donc tenté de partager au maximum cette information, de le faire réagir dans son passage à l’émission Thinkerview, dans un live Facebook, et dans nombre de publications en rapport à l’élevage, toujours en le citant et l’identifiant. Jamais nous n’avons eu le plaisir de l’entendre à ce sujet, pourtant au cœur de son engagement quotidien. Ici, faisons le parallèle avec ce qu’il dit en conférence à Loudun ״ Si le journal avait pour vocation de représenter les faits et rien d’autre, et bien pour 1 article qui vous parle du solaire il devrait y en avoir 10 qui vous parlent du charbon ״.[31] Logique, non ?

Force est de constater que l’élevage constitue bien un point aveugle délibéré. Pratiquant une veille active depuis la création de notre association APALA (qui vise à rendre soutenable nos actions), nous remarquons très régulièrement des couacs tels que celui du 26 juin dernier où Carbone 4 publia une fiche synthèse visuelle à propos de leur rapport[32]. Il se trouve que l’action individuelle la plus impactante, à savoir devenir végétarien, a été oubliée. Après l’avoir fait remarquer en commentaires, l’erreur a été réparée mais visuellement, bien que citée en première (ce qui est rarement le cas alors soulignons-le), elle paraît être au même niveau que privilégier le vélo, ou ne plus prendre l’avion. Un facteur 4 semble pourtant être assez considérable pour la rendre plus visible…

Malheureusement pour notre compréhension collective, et donc notre capacité d’agir, nombre d’exemples peuvent ainsi être relatés. L’intervention de Shafik Asal[33] (fondateur d’Eco2initiaitive) au colloque 2018 de Bon pour le Climat est révélatrice de ces « omissions involontaires stratégiques ».

Cet angle mort empêche d’envisager conséquemment une hiérarchisation de nos priorités face au changement climatique biaisant ainsi tout arbitrage qu’il faudrait pourtant pragmatiquement envisager.

L’élevage ne concerne pas uniquement le secteur de l’alimentation

Il ne s’agit ici « que » de l’alimentation. Il doit pouvoir se dégager un facteur moyen de réduction d’émission lié au remplacement des produits animaux par des produits végétaux, au-delà de ce secteur.

Pour rappel, les produits animaux sont utilisés dans de nombreux autres secteurs tels que :

  • l’habillement, l’ameublement et la décoration (cuirs, laines, soies, graisses, poils, plumes et duvets)
  • les produits des secteurs de la chimie, des cosmétiques et de la pharmacie
  • tests effectués sur les animaux (expérimentations)
  • exploitation des animaux liée aux activités de loisirs tels que spectacles, sports, et autres activités ‘récréatives’

Mais alors quelle part de la balance peuvent prendre les animaux que nous choisissons sans cesse de renouveler ?

L’indicateur économique nous renseigne sur l’ampleur de la situation

Jean-Marc Jancovici établit un lien entre la variation de production de pétrole en volume et la variation du PIB par personne[34] avec ce décalage temporelle qui expliquerait que l’économie « réagit » au pétrole disponible. Quant à elle, Véronique Seltz (docteure en économie à l’Université Paris Dauphine) a tenté d’observer ce que ferait l’avènement d’un choc végane sur l’économie française. L’arrêt total de l’exploitation des animaux serait à l’origine de contraintes telles qu’un bouleversement des techniques de production est à envisager. Il serait alors à l’origine de cette destruction créatrice chère à Schumpeter et apporterait un ‘changement qualitatif et discontinu de l’évolution économique’, ce que l’on appelle le développement[35].

Sans distinction entre la création et la destruction d’activité, elle évalue ainsi à 64,57% (soit près des 2/3) de l’économie française[36] qui serait touchée par un tel choc.

Si un tel facteur moyen de réduction d’émissions lié au remplacement des produits animaux par des produits végétaux était calculé, alors nous pourrions envisager l’appliquer à une part importante de notre économie. Ce ne serait évidemment pas une mince affaire d’opérer ce changement à l’échelle nationale déjà, mais internationale également étant donné que la FAO estime qu’un milliard de pauvres dépendent de l’élevage pour se nourrir et ‘gagner’ leur vie[37]. Tandis que 815 millions de personnes souffrent de la faim aujourd’hui dans le monde, pratiquement 80% des personnes pauvres vivent dans des zones rurales et dépendent de l’agriculture, de la pêche et de l’exploitation des forêts comme principale source de revenus et de nourriture[38].

Toujours est-il qu’aujourd’hui, les process animaux dépendent intrinsèquement des process végétaux, et non réciproquement.

Le dilemme énergétique

״Nous ne sommes que convertisseur d’énergie״ Jean-Marc Jancovici – Conférence Lost in Transition.

Poore et Nemecek (2018) nous apprennent que 18% de calories et 37% de protéines seulement sont couverts par les produits issus de l’élevage. Comment expliquer une si faible contribution pour un si fort impact ? Le réseau trophique permet de nous apporter un éclairage.

Étant des systèmes dissipatifs ouverts, les êtres vivants, perdent constamment de l’énergie par entropie. Celle-ci créé de la chaleur et c’est pourquoi nous rayonnons tous suivant l’intensité de notre activité. Imaginez un radiateur de puissance proportionnelle à la taille du système dissipatif en question et de son activité qui chauffe tout au long de son existence. Cette énergie-là est perdue et nous ne pouvons rien y faire. Aucune optimisation ne peut réduire cette fuite énergétique autrement qu’à la marge (méthanisation par exemple).

Les maillons d’une chaîne alimentaire sont en fait des niveaux trophiques. En écologie, ils sont reliés entre eux par un transfert d’énergie et de biomasse (flux de carbone et d’azote) au sein d’un écosystème. Le terme trophique se rapporte à tout ce qui est relatif à la nutrition d’un tissu vivant ou d’un organe. Par exemple, une relation trophique est le lien qui unit le prédateur et sa proie dans un écosystème[39].

La loi de Raymond LINDEMAN (qui date de 1942), nous apprend que la quantité d’énergie passant d’un maillon à l’autre de la chaîne est de seulement 10 %. Appelée aussi « loi des 10% » dans les ouvrages élémentaires, celle-ci précise que seule une fraction de l’énergie qui pénètre à un niveau trophique donné dans une biocœnose (ensemble des êtres vivants établis dans un même milieu), est transmise aux organismes situés à des niveaux trophiques supérieurs, apprend-on dans « Eléments d’écologie : Ecologie fondamentale ». Les estimations du contenu énergétique des divers types d’organismes effectuées pour l’ensemble de la biosphère confirment largement l’évaluation moyenne faite par LINDEMAN des taux de transfert d’énergie entre les divers niveaux trophiques d’une biocœnose[40].

  • D’un maillon à l’autre, les transferts d’énergie ont donc un très mauvais rendement.

Une étude de la FAO (A. Mottet et al., 2017) confirme que les animaux sont de mauvais convertisseurs d’énergie en alimentation humaine. A taux de protéine égal, pour produire 1 kg de viande sans os, il faudrait en moyenne 2,8 kg d’aliments destinés à la consommation humaine dans les systèmes ruminants et 3,2 kg dans les systèmes monogastriques (Table 1 p.3)[41]. Ce qui fait respectivement 64% et 69% de perte de conversion. Il est intéressant d’observer que le ratio de protéines absorbées sur les protéines rendues de l’ensemble des produits animaux (viandes, lait et œufs inclus) est de 10 (10% de rendement, 90% de perte)[42]. Une loi ne porterait-elle pas ce nom quelquefois ?

Dans cet exercice il convient de prendre en considération l’efficience brute de conversion pour l’impact global et l’efficience nette de conversion dans le cadre de la disponibilité alimentaire. Dans ce cas, la moyenne est de 2,6 protéines consommées pour 1 rendue (62% de perte), avec 81% des élevages consommateurs nets de protéines. Pour davantage de précisions je vous conseille l’excellent article « Dix kilos de végétaux pour un kilo de viande : l’élevage se sert-il dans nos assiettes ? ».[43]  Bien que localement, il puisse être contributeur en protéines dans des cas spécifiques, l’élevage gaspille massivement nos ressources.

D’après Rastoin et Ghersi 2010[44], la production animale depuis la récolte de plantes comestibles jusqu’à la consommation humaine occasionnerait plus de 56% de perte énergétique[45] (soit 2,3 protéines consommées pour 1 rendue). Non loin des 62% de l’étude précédente.

 

Ces études nous démontrent clairement que nous sommes en concurrence alimentaire avec l’élevage.

La démographie pose-t-elle vraiment problème ?

Tout comme Jean-Marc Jancovici, nous pensons qu’aider les pays à maîtriser leur facteur démographique est nécessaire, mais en premier lieu, pour l’émancipation des femmes. Bien qu’il diminuerait la pression environnementale que nous exercerions à la racine, en réduisant littéralement le nombre d’individu consommateurs de ressources, nous pensons qu’il constitue un levier chimérique qu’il est impératif de contextualiser.

En creusant un trou de 1km de large, 1km de long et 200 m de profondeur, on peut faire disparaître sans difficulté la totalité de l’espèce humaine (même tout habillée).[46] C’est à ce farfelu calcul que s’est adonné l’original auteur Michel Dalmazzo, dessinateur à l’occasion.

Plus sérieusement, pour se rendre compte de ce que l’humanité représente sur notre planète, l’étude de la distribution de la biomasse terrestre a été réalisée par YM Bar-On et al., (2018)[47]. Nous constituons seulement 36% de la biomasse des mammifères terrestres, tandis que 60% sont des animaux d’élevage et 4% des animaux sauvages. Pour ce qui est des oiseaux, 70% sont d’élevage et 30% sauvages. Il y a également 3 fois plus de virus, de vers, 12 fois plus de poissons, 17 fois plus d’insectes, araignées et crustacés ; et 200 fois plus de champignons, 1200 fois plus de bactéries et 7500 fois plus de plantes. En fait, l’essentiel de la biomasse est constitué de plantes à 82% et de bactéries à 13%, le reste représentant une fraction infime de la biomasse totale.

On y apprend également que la biomasse d’un groupe n’est ni corrélée au nombre d’espèces, ni au nombre d’individus qui les composent. La présentation des résultats de cette méta-analyse a été réalisée sur le site Planet-Vie[48]. En s’appuyant sur des études estimant la biomasse passée, les auteurs nous disent que l’humain serait responsable de la disparition de la moitié de la biomasse des plantes terrestres. Or toujours selon Poore et Nemecek (2018), 83% des terres exploitées le sont à destination de l’élevage.

De plus, le nombre d’animaux d’élevage croît beaucoup plus vite que la population humaine, de 6 milliards en 1961 à plus de 60 milliards aujourd’hui, soit un facteur 10, tandis que nous avons « seulement » doublé notre population. Le rapport « animaux d’élevage »/ « humains » augmente alors que nous pourrions nourrir 15 milliards d’humains en passant d’une agriculture basée sur l’élevage à une agriculture basée sur le végétal.[49] Notre mode de vie semble bien responsable des dégâts que nous connaissons actuellement plutôt qu’une prétendue démographie qui certes accentue les effets délétères, mais ne constitue pas un problème en soi si un mode de vie soutenable était adopté. Et puis quel sens aurait une généralisation démographique avec des différences telles que certains s’empiffrent tellement qu’ils consomment et donc polluent, pour tous les autres ?

Ici aussi de nombreuses études démontrent que l’alimentation végétale est incroyablement moins consommatrice de terre arable. Mais le partage de l’eau constitue un exemple parlant et à ce titre, nous vous conseillons l’excellente fiche « Le problème de l’eau » de l’AVF[50] ainsi que l’article du blogueur Nicolas B.[51] qui explique les différences entre eau verte, bleue et grise. D’autant que d’après le sénateur écologiste Ronan Dantec, vice-président de la commission développement durable du Sénat, la priorité immédiate serait de trouver un usage très économe de l’eau en agriculture.[52]

D’après Mathieu Ricard, l’élevage monopoliserait la moitié de la consommation d’eau douce mondiale, déverserait 50% des eaux polluées en Europe alors que 70% de l’eau douce mondiale est déjà dégradée ou polluée. Nous disposons pourtant d’un stock d’eau douce limité (seuls 2.5% de l’eau de la planète est de l’eau douce avec les 3/4 contenus dans les glaciers et les neiges éternelles). Or 1m3 d’eau serait nécessaire pour produire 1000kcal d’aliments d’origine végétale et 5m3 pour 1000kcal d’aliments d’origine animale. Alors que chaque Terrien dispose de 5000L d’eau par jour, la nourriture d’un français par jour en demande 9000L, contre 3600L si elle était d’origine végétale, ce qui serait soutenable.

L’augmentation de la population a pour conséquence directe la diminution de la surface de terre cultivable par personne.[53] Alors, plutôt que de céder à un certain malthusianisme ambiant, pourquoi ne pas préconiser un changement de régime alimentaire en se réappropriant directement les parcelles semencières tout en économisant au maximum l’eau ?

Partage contre accaparement des ressources

Au même titre que pour la question démographique, quel type de société empêcherait une greffe d’organe à une personne décrétée comme trop âgée ? Les médecins sont assermentés pour autoriser ou non une greffe d’organe dans l’intérêt du patient. Mais pouvons-nous réellement imaginer interdire une intervention chirurgicale sous un prétexte écologique ? Pouvons-nous sérieusement envisager une politique de l’enfant unique afin de diminuer la population ? Comment seraient choisies ces personnes et quels seraient les bons critères ?

Alors que leurs données couvrent 90% de la population, Thomas Piketty et Lucas Chancel dressent dans l’étude « Carbon and inequality: from Kyoto to Paris »[54] un tableau consternant :

Les  10%  des  individus  les  plus émetteurs  sont  aujourd’hui  responsables  de  45% des  émissions  mondiales  alors  que  les  50%  les moins  émetteurs  sont  responsables  de  moins  de 13% des émissions. Les 40 % du milieu émettent 42% des émissions mondiales. Les 1% les plus riches quant à eux, émettent plus de 2000 fois plus que les 10% les plus pauvres. Il est intéressant de remarquer que, de 1998 à 2013, le groupe représentant les individus les  2%  les  moins  émetteurs  au  monde  a  vu  ses  émissions  de CO2e baisser de 12% par personne.

1% de la population mondiale qui ne représente pourtant que 70 millions de personnes, polluent autant que 140 milliards de personnes équivalent aux 10% les plus pauvres. Les ressources de la planète ne subviennent pas aux besoins fondamentaux du milliard de personne le plus pauvre alors que 70 millions de personnes ont un mode de vie qui impacte autant que 140 milliards de ces mêmes personnes. Il y a un tel problème d’inégalité que la démographie ne reflète pas le problème auquel nous faisons face. Quel sens aurait une moyenne de telles disparités ? Imaginez une courbe de tendance… Comme la biomasse d’un groupe n’est ni corrélée au nombre d’espèces, ni au nombre d’individus qui les composent, l’impact de l’espèce humaine semble plus corrélée à ses niveaux d’inégalités qu’à sa démographie.

Conclusion

APALA s’est donné pour mission d’œuvrer à un mode de vie soutenable en aiguillant les actions de chacun par des informations fiables et la mise en œuvre de solutions concrètes.

Dans l’immédiat, il nous faut un horizon. Il nous faut planifier des réductions progressives sectorielles afin d’abaisser drastiquement nos émissions carbone. S’il nous faut diviser par 3 cette quantité en 30 ans, il est urgent de tracer cet horizon pour fédérer au plus vite. Non pas une, mais des solutions majeures doivent être définies pour entraîner le maximum de personnes avec des objectifs communs. Cependant, une hiérarchisation des priorités permettra d’agir efficacement.

En résumé, d’après les différentes études citées et l’analyse précédente, le passage à un régime végétalien réduirait en moyenne de ¾ les émissions liées à l’alimentation. Il réduirait par la même occasion la perte de protéines mondiales de près de 60%. Quant à l’élevage dans sa globalité, la fourche(tte) va de 14,5% à 51% des émissions de GES mondiales suivant les études. M. Jancovici nous affirme que le secteur représenterait de ¼ des émissions à la moitié en ramenant l’échelle de temps du forçage radiatif considérée de 100 à 20 ans. Pour ce qui est de l’eau, on diviserait notre consommation par un facteur de 3 à 5 suivant les études (monopolisation serait plus correct scientifiquement).

Considérant l’ensemble des données précédemment citées et toutes celles qui manquent par souci de digestibilité, le constat nous apparaît sans équivoque. Il est urgent de revoir notre alimentation collectivement. Or sur les 9 propositions du Shift Project « Pour que l’Europe change d’Ere », la dernière concerne l’alimentation, et elle préconise en premier lieu la division par deux du gaspillage alimentaire. Ensuite pour l’élevage, la priorité serait donnée à la qualité plutôt qu’à la quantité en proposant de créer un label « Haute Qualité Environnementale ». Aucune remise en question du modèle agricole n’est discernable, et encore une fois, les émissions de GES imputables à l’élevage sont copieusement dissimulées (75% de 12% ?). The Shift Project est pourtant une association d’intérêt général, un think-tank dont la mission est d’éclairer et influencer le débat sur la transition bas-carbone en France et en Europe : ils constituent des groupes de travail autour des enjeux les plus délicats et le plus décisifs de la transition et font la promotion des recommandations de ces groupes auprès des décideurs politiques et économiques.

Les analyses de Jean-Marc Jancovici nous sont utiles en participant à une meilleure compréhension de l’énergie et du changement climatique entropique. Cela-dit, les curseurs doivent être mis aux bons endroits. Comment croire à la fameuse transition énergétique dès lors que les politiques, nationales, régionales et communales pointent collectivement du doigt la tomate importée alors que c’est le cochon, la poule et les poissons bien de chez nous qui posent problème ? Les animaux de trait ont besoins de la même surface agricole que la nôtre pour se nourrir. Un monde avec des tracteurs à la place de ces animaux peut héberger plus d’êtres humains que si on revient aux bêtes de somme nous rappelle J.M. Jancovici. Il faut réfléchir « système » et considérer la généralisation des pratiques. Qui choisirons-nous de nourrir ? A combien d’équivalents humains choisirons nous de subvenir contre le renoncement au produits animaux ? L’alimentation est le domaine par excellence où nous pouvons accroitre notre résilience. La sortie de l’élevage semble en être la première condition. Si nous parvenons à un tel challenge, alors que l’implication de toutes et tous en est le prérequis, nous serons en bonne posture pour d’autres changements à la hauteur des exigences, pour que les règles de 3 bouclent à la fin

 Tout le monde s’accorde à dire qu’il y a urgence, mais personne ne semble voir le nez au milieu de la figure. L’approche qui semble fustiger le confort de vie ne nous semble pas pertinente. Du moins si l’on ne souhaite pas voir une élite cosmopolite mondiale faire session avec le genre humain. Les inégalités sont tellement fortes qu’il sera vain de convaincre la majorité des Terriens à ne pas améliorer leur niveau de vie. Qui plus est, nous voyons bien ici les limites de la légitimité d’une telle action. Alors que près d’un milliard de personnes souffrent de malnutrition, l’élevage est généralisé, globalisé et demain relocalisé ? Combien de petits élevages faudra-t-il pour tous nous nourrir ? Là encore, le déterminisme social à l’œuvre, une discrimination spatiale sera inévitable. Et à quoi bon d’ailleurs ? Plomberons-nous tous nos efforts de sobriété énergétique pour du fromage animal alors que son équivalent végétal, 2, 3 (voir plus) de fois plus économe en ressources et d’autant moins polluant pointe déjà le bout de son nez ? La révolution végétale est à l’œuvre et nous offre une perspective d’avenir, contrairement au modèle actuel. Au jour où nous questionnons la radicalité, ne serait-ce finalement pas si enthousiasment d’envisager faire autrement ? En considérant la majorité de nos co-habitants les autres animaux par exemple ?

Les éleveurs croulent sous les dettes et c’est la catégorie socio-professionnelle (bovins laitiers en particulier) la plus soumise au suicide. Une pancarte proclame : « Je suis éleveur, je meurs ». Souhaitons-nous réellement réformer ce système ou chercherons-nous des portes de secours ? Une telle misère humaine n’est pas souhaitable et un tel système déperditif n’est pas soutenable à tout point de vue. Les éleveurs doivent être accompagnés pour devenir des transformateurs à forte valeur ajoutée, sur une activité viable tant écologiquement qu’économiquement. Lost in transition… À la question « Que faire ? » bien que les solutions soient multiples, le plus simple est de commencer par l’action à sa portée la plus réductrice : le végétal sous toutes ses formes plutôt que quelconque produit animal d’où qu’il vienne. Végétalisons-nous !

En définitive, nous nous en remettons, conséquemment aux dires de la FAO, datant pourtant de 2006 (Steinfeld H. et al., 2006) :

L’élevage devrait être au cœur des politiques mises en place pour faire face aux problèmes de dégradation des sols, de changement climatique, de pollution de l’air, de manque de ressources en eau ou de leur pollution, et d’érosion de la biodiversité.

à TABLE !!!

[1] https://youtu.be/Ubx9YbMz8gM?t=542

[2] http://www.cnrs.fr/fr/les-deux-modeles-de-climat-francais-saccordent-pour-simuler-un-rechauffement-prononce

[3] https://jancovici.com/changement-climatique/predire-lavenir/ou-nous-situons-nous-dans-lechelle-des-temperatures-par-rapport-au-passe/

[4]http://www.socialter.fr/fr/module/99999672/834/jean_marc_jancovici__qleurope_est_en_dcroissance_nergtique_depuis_2007

[5]https://fr.wikipedia.org/wiki/Convention-cadre_des_Nations_unies_sur_les_changements_climatiques

[6] https://youtu.be/lgoUns8Cu0w?t=7405

[7] https://www.apala.fr/correspondances-jancovici/

[8] http://www.fao.org/livestock-environment/fr/

[9] https://cloud.apala.fr/index.php/s/LivestockAndClimateChange

[10] https://cloud.apala.fr/index.php/s/EmissionsMondialesParSecteur

[11] https://youtu.be/j48hBShnfB0?t=8559

[12] https://jancovici.com/changement-climatique/les-ges-et-nous/combien-de-gaz-a-effet-de-serre-dans-notre-assiette/

[13] https://cloud.apala.fr/index.php/s/NotreRevolutionCarbone

[14] http://www.carbone4.com/wp-content/uploads/2019/06/Publication-Carbone-4-Faire-sa-part-pouvoir-responsabilite-climat.pdf?fbclid=IwAR3o2c653xJU3eIyTS73F7tzmznYEppyKfxiDca_OD-ZogaxVX7l9JlrGFE

[15] Åström, S., Roth, S., Wranne, J., Jelse, K., & Lindblad, M. (2013). Food consumption choices and climate change. Report B2091.

[16] Craig, W. J., & Mangels, A. R. (2009). Position of the American Dietetic Association: vegetarian diets. Journal of the American Dietetic Association, 109(7), 1266-1282.

[17]https://www.foodwatch.org/fileadmin/foodwatch_international/campaigns/climate/foodwatch_report_on_the_greenhouse_effect_of_farming_05_2009.pdf

[18] Weber, C. L., & Matthews, H. S. (2008). Food-miles and the relative climate impacts of food choices in the United States.

[19] Poore, J., & Nemecek, T. (2018). Reducing food’s environmental impacts through producers and consumers. Science, 360(6392), 987-992.

[20] https://science.sciencemag.org/content/sci/360/6392/987/F1.large.jpg?width=800&height=600&carousel=1

[21] https://jancovici.com/wp-content/uploads/2010/01/assiette_graph5_en.png

[22] https://jancovici.com/wp-content/uploads/2010/01/assiette_graph6.png

[23] Springmann, M., Clark, M., Mason-D’Croz, D., Wiebe, K., Bodirsky, B. L., Lassaletta, L., … & Jonell, M. (2018). Options for keeping the food system within environmental limits. Nature, 562(7728), 519.

[24] Kim, B. F., Santo, R. E., Scatterday, A. P., Fry, J. P., Synk, C. M., Cebron, S. R., … & Neff, R. A. (2019). Country-specific dietary shifts to mitigate climate and water crises.

[25] Herrero, M., Gerber, P., Vellinga, T., Garnett, T., Leip, A., Opio, C., … & Montgomery, H. (2011). Livestock and greenhouse gas emissions: The importance of getting the numbers right. Animal Feed Science and Technology, 166, 779-782.

[26] Fiske, S. T., & Taylor, A. (1984). SE: Social Cognition.

[27] https://youtu.be/_GIk2BHBzSY?t=122

[28] https://cloud.apala.fr/index.php/s/PublicationsFBCompteJANCOVICI

[29] https://www.goodplanet.info/actualite/2019/08/08/comment-les-sols-et-lagriculture-peuvent-aider-le-climat/?fbclid=IwAR0EVttp1PummQSbd9ln-tBbU1okhwc7hHDY3-ZHNnMYEvqFmRb4XQTEXrg

[30] https://www.youtube.com/watch?v=nub7pToY3jU

[31] https://youtu.be/Ubx9YbMz8gM?t=552

[32] https://www.facebook.com/fr.carbone4/posts/2389230774466417

[33] https://youtu.be/vNMJ4fRQmYk?t=161

[34] https://www.facebook.com/jeanmarc.jancovici/posts/10158472923872281

[35] http://variances.eu/?p=1852

[36] https://youtu.be/aF43ubo9csg?t=3245

[37] http://www.fao.org/livestock-environment/fr/

[38] http://www.fao.org/3/a-i8037f.pdf

[39] https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9seau_trophique

[40] https://cloud.apala.fr/index.php/s/LoiDeLindeman

[41] Mottet, A., de Haan, C., Falcucci, A., Tempio, G., Opio, C., & Gerber, P. (2017). Livestock: On our plates or eating at our table? A new analysis of the feed/food debate. Global Food Security, 14, 1-8.

[42] https://cloud.apala.fr/index.php/s/LElevageConsommateurNetDeProtein

[43] https://criticalvegan.com/2019/09/13/dix-kilos-de-vegetaux-pour-un-kilo-de-viande-lelevage-mange-til-dans-nos-assiettes/

[44] Rastoin, J. L., & Ghersi, G. (2010). Le système alimentaire mondial. Concepts et méthodes, analyses et dynamiques. Versailles: Éditions Quae.

[45] https://cloud.apala.fr/index.php/s/PertesEnergetiqueSystemeAnimal

[46] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/sept-milliards-164071

[47]Bar-On, Y. M., Phillips, R., & Milo, R. (2018). The biomass distribution on Earth. Proceedings of the National Academy of Sciences, 115(25), 6506-6511.

[48] https://planet-vie.ens.fr/article/2540/repartition-biomasse-terre

[49] https://cloud.apala.fr/index.php/s/NourrirSonMonde

[50] https://cloud.apala.fr/index.php/s/LeProblemeDeLEau

[51] https://criticalvegan.com/2019/07/02/15-000l-deau-pour-un-kilo-de-boeuf-vraiment/

[52] https://youtu.be/q-_mlM-YGYk?t=151

[53] Flachowsky, G., Meyer, U., & Südekum, K. H. (2017). Land use for edible protein of animal origin—A review. Animals, 7(3), 25.

[54] http://piketty.pse.ens.fr/files/ChancelPiketty2015.pdf

Même importé et suremballé, il vaut mieux manger végétal !

C’est sous ce titre un brin provocateur, qu’à été publié notre entretien lors de notre rencontre avec Le Magazine des Autres Possibles (MAP pour les intimes). Bien sûr, le mieux est d’éviter le plus possible les emballages et de privilégier la localité, mais pas envers et contre tout, c’est ce que nous allons voir ici…

Les actions efficaces pour réduire notre empreinte carbone

Informons sur les meilleures actions claires et compréhensibles pour encourager au plus possible à adopter un esprit d’écologiste efficace.

La défense de l’élevage quoi qu’il en coûte

Réponse aux arguments de défense de l’élevage spécifiquement formulés dans l’article de Frédéric Denhez publié dans Le Figaro en avril 2021.

Sécheresse: l’inéluctable recul de l’élevage

Signataires Ricardo Azambuja, Rennes School of Business (France) et Fundação Dom Cabral (Brésil) Gilles Belaud, professeur à l’Institut Agro en sciences de l’eau Noé Bugaud, étudiant en biologie Agnès Ducharne, chercheuse en hydrologie, Paris  Michel Duru, directeur...

L’élevage : un maximum d’impact pour un minimum d’apports

Les animaux dépendent des végétaux et non inversement, et ça, c’est une notion de base de l’écologie qui nous l’apprend : le niveau trophique.

Polémique artificielle contre des produits végétariens et véganes plus sains

Le dénigrement médiatique contre les produits transformés végétaux lutte contre leurs avancées sanitaires, écologiques et éthiques.

L’origine animale des pandémies !

Si nous ne changeons pas notre rapport aux autres animaux, nous n’éviterons pas de futures épidémies , avec toutes les conséquences que nous connaissons désormais.

Vite, la nouvelle transition alimentaire !

Au delà des préjugés sur les aliments transformés, nous proposons de prioriser les produits végétaux qui, s’ils sont transformés, représentent notre meilleur espoir pour la nécessaire nouvelle transition alimentaire.

Kaïros : le moment opportun de changer son alimentation

Souhaitons-nous allouer davantage de ressources à la gestion de crises épidémiques où préférerons-nous réorienter notre alimentation pour maximiser nos chances d’évitement ?

L’énigme des experts climatiques face à l’urgence

Au travers les résultats des études du cabinet Carbone 4 ainsi que des études internationales d’ampleurs, nous tentons de démontrer que le curseur ne pointe délibérément pas vers la meilleure stratégie de réduction des émissions de GES.

Même importé et suremballé, il vaut mieux manger végétal !

Temps de lecture estimé : 5 min

 Paru dans le numéro #21 Alimentation durable: Brisons nos chaînes alimentaires !

C’est sous ce titre un brin provocateur, qu’à été publié notre entretien lors de notre rencontre avec Le Magazine les Autres Possibles (MAP pour les intimes). Bien sûr, le mieux est d’éviter le plus possible les emballages et de privilégier la localité, mais pas envers et contre tout, c’est ce que nous allons voir ici…

Mais tout d’abord, nous remercions chaleureusement le MAP de nous autoriser cette diffusion pour qu’un maximum de gens puissent accèder à cette interview en vue d’un nouvel article portant également sur le sujet (mais n’en disons pas plus !). Si vous ne connaissez pas encore le magazine, courrez l’acheter, c’est seulement 2€ ! Pas cher pour un journalisme indépendant, si ? A l’image de ce numéro (le #21) ce sont de belles productions qui traitent des sujets contemporains qui nous travaillent. Par chance, tous les numéros sont disponibles à la vente sur leur site internet ici :

   > Tous les numéros du MAP <

Propos recueillis par Marie Bertin (Coordinatrice de la rédaction du MAP)

APALA s’est d’abord penchée sur le problème du chauffage, en inventant le “Poêle Fusée à Inertie”, avant de développer une recette de parmesan végétal… Vous avez eu faim en cours de route ?

Hé non ! Notre vocation, c’est de trouver des solutions techniques concrètes aux problématiques environnementales. Nous avons d’abord analysé quels étaient les principaux postes de dépense en énergie d’un individu : le chauffage représente plus de 60% de l’énergie consommée en France. D’où la mise au point d’un poêle de masse écologique performant. Mais, rapidement, on a réalisé que du point de vue de l’empreinte carbone globale d’une personne, si l’on prend en compte l’ensemble des cycles de production, l’alimentation est le premier responsable !  Elle représente un quart du bilan carbone d’un individu, selon le dernier rapport de l’ADEME (1), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. On s’est donc mis à travailler à des solutions low-tech dans ce domaine : le parmesan végétal en est une !

Le fromage poserait-il problème plus particulièrement ? Rassurez-nous…

Non, mais le fromage animal fait partie du problème de l’impact environnemental des aliments issus de l’élevage en général. Notre parmesan est une réelle alternative, en même temps qu’un outil de sensibilisation : il nous sert d’exemple pour exposer et comparer les bilans carbones des différents types d’aliments. Car la conclusion de toutes nos recherches, c’est que pour réduire significativement l’empreinte écologique de notre alimentation, il faut privilégier le végétal, avant tout le reste. Le zéro déchet, le bio, le local, de saison, évidemment, c’est bien et important. Nous aussi, on trouve ça débile de mettre du plastique autour d’une carotte. Mais, si l’on compare les données disponibles quant aux bilans carbone des différentes chaînes de production, il n’y a pas d’ambiguïté : même suremballé, même venant du bout du monde, une carotte aura toujours moins d’impact qu’un morceau de viande non emballé, produit localement et bio.

Comment un produit venant du bout du monde pourrait-il être moins énergivore qu’un produit local ?  

Il faut saisir le fonctionnement du “réseau trophique” [voir infographie] : la façon dont circule l’énergie à travers les différentes chaînes alimentaires. Au niveau 1, il y a les autotrophes : les végétaux, ceux qui sont capables de produire de la matière organique avec, seulement, du soleil et de l’eau et des minéraux. L’homme et les animaux en général, n’en sont pas capables. Ils appartiennent à un autre niveau : celui des hétérotrophes. Nous sommes donc dépendants des premiers. Quoi que l’on mange, il a fallu des végétaux à un moment donné de la chaîne : qu’on les mange directement, qu’on mange des animaux qui ont mangé des végétaux, ou des animaux qui ont mangé des animaux qui ont mangé des végétaux. Donc, plus vous mangez un maillon situé haut dans une chaîne alimentaire, plus vous « coûtez » en énergie. Reprenons un exemple : si vous mangez une carotte, il a fallu de l’eau et du carbone pour la produire. Si vous mangez le lapin, il a fallu de l’eau et du carbone pour lui + l’eau et le carbone qu’il a fallu pour produire les carottes que le lapin a mangées, etc.

L’impact des transports ne permet-il pas d’inverser ce rapport ?

Non. Car contrairement aux idées reçues, selon l’une des principales études sur les émissions liées au système alimentaire(2),réalisée aux Etats-Unis, le transport ne représente que 11% des émissions de gaz à effet de serre d’un produit alimentaire. 83% est dû à la phase de production elle-même. Dans le cas de l’élevage animal, cet impact est principalement lié aux gaz digestifs des animaux, à leurs déjections, à la culture et au transport de leurs aliments, à la déforestation, et à la transformation des produits à base de viande ou de lait, notamment.

Faut-il mettre sur le même plan une vache d’élevage et une poule qui mange nos épluchures dans le jardin ? Autrement dit, pourquoi prôner un retour au tout végétal, sans faire d’exception ?

C’est vrai. Si l’on fait une hiérarchie entre les animaux, la poule sera beaucoup plus économe en énergie que le veau par exemple. Le veau, c’est ce qu’il y a de plus énergivore! Cela dit, la poule reste plus énergivore que n’importe quel végétal… C’est ainsi. Or des scientifiques nous apprennent que nous vivons actuellement la sixième extinction de masse, 100 ou 1000 fois plus rapide que les précédentes. Nous en sommes la cause et nous ne savons pas si la vie y survivra. Dont acte ! Il semble primordial de mettre toutes les chances de notre côté: autrment dit, limiter notre impact au maximum.

Vous vous basez sur de nombreuses données chiffrées. Mais dans le domaine des études d’impact, les modes de calculs font polémiques…

Même en critiquant les études, on peut s’accorder sur le fait que l’impact du produit animal prévaut sur son équivalent végétal. Exemple : 100 g de parmesan végétal fait avec des noix de cajou, c’est environ 60% d’équivalent CO2 en moins que 100 g d’emmental bio et local. Idem pour la consommation en eau.

Si l’on vous suit : le lait, les oeufs, ont donc aussi un impact fort. Pourtant, vous parlez d’alimentation végétale, et non végane, pourquoi ?

On préfère parler de végétal parce que notre entrée sur le sujet est scientifique, et non morale. Or, dès que l’on parle de véganisme, on renvoie au débat éthique. Nous ne sommes pas des prescripteurs de conscience. Nos recherches servent à comparer les impacts des différents aliments, et à en informer le public. Une action a forcément un impact. Notre question de départ est : concernant l’alimentation, quel impact est soutenable pour la planète ? Selon nous, une action est soutenable si elle est généralisable : est-ce que si nous le faisions tous, l’environnement pourrait le supporter ?

Nos choix alimentaires ont aussi des conséquences sociales. Que répondez-vous aux éleveurs qui défendent leur savoir-faire ?

On comprend les éleveurs. Mais on pense que mettre l’accent sur le végétal est aussi une solution pour eux. Selon nous, le modèle actuel de l’élevage est hautement déperditif : la dépense énergétique est énorme par rapport à celle produite. L’élevage ne nous fournirait que 37% des protéines et 18% des calories que nous consommons(3). Par ailleurs, beaucoup d’éleveurs sont en dessous des minima sociaux. Ils ont le taux de suicide le plus élevé par catégorie socioprofessionnelle. Pourquoi vouloir continuer comme ça, de toute façon ? Bref, pour sortir les éleveurs de leur situation, selon moi, il faut les aider à prendre un virage et, pourquoi pas, à devenir transformateurs : produire davantage de protéines végétales (légumineuses en tous genres) et participer à leur transformation.

Quelles sont vos solutions low-tech pour faciliter l’évolution de nos pratiques alimentaires ?

On a interrogé les gens : le frein numéro 1 pour la majorité, c’est la cuisine. “D’accord, mais j’ai pas l’intention de passer des heures en cuisine, etc.” Autrement dit, ce qu’il nous faut, c’est réapprendre à cuisiner certains aliments et des idées de recettes simples et bonnes ! En plus d’élaborer et de partager des recettes, APALA organise des buffets soutenables et des ateliers de cuisine.

Retrouvez une première approche de la cuisine végétale au dos du magazine, à se procurer ici :

> #21 Alimentation durable: Brisons nos chaînes alimentaires ! <

 

(1) L’empreinte énergétique et carbone de l’alimentation en France, ADEME, 2012.

(2) Weber, C. L., & Matthews, H. S. (2008). Food-miles and the relative climate impacts of food choices in the United States.

(3) Etude Poor and Nemecek, parue dans la revue Sciences, 2018.